Le recensement et la naissance de Jésus ♥

La connaissance d'éléments de civilisation antique permet de mieux comprendre la culture antique et par là même, la nôtre.
 

D'après le récit biblique, les parents de Jésus durent faire un voyage pour Bethléem, ville ou naquit Jésus, dans le but de répondre au recensement opéré par Quirinius. Or, d'après des sources historiques, ce recensement n'eut jamais lieu à l'époque ou l'on situe la naissance de Jésus mais bien dix ans plus tard, c'est-à-dire après la déposition d'Archélaüs, donc dix ans après la mort d'Hérode, en l'an 37 de l'ère d'Actium – d'après Josèphe – et l'on sait, d'après le récit biblique, que Jésus naquit sous le règne d'Hérode.

Qu'est-ce qu'un recensement ?

Tous les cinq ans, à Rome et dans les municipes romains (cités de droit latin complet) pendant la période de la république, les citoyens romains et, seulement eux, étaient recensés. Il s'agissait d'une mesure de taxation et aussi de classement des citoyens selon leur fortune dans les trois ordres : sénateurs, chevaliers et plébéiens. Le terme d'un census se faisait par une lustration, un rite de purification religieux. D'où le mot « lustre » pour désigner un intervalle de cinq ans.

Ce census primitif se généralisa avec l'agrandissement de l'empire (au sens de terres et peuples assujétis par la république romaine) aux provinces. Il ne faut pas voir dans ce census l'équivalent de nos recensements. Le lieu de naissance était important pour être inscrit dans les 35 tribus électorales des Romains qui étaient géographiques au départ, puis chaque province fut associée à ces tribus.

Pour l'époque qui nous concerne, Auguste pouvait faire un recensement global de toutes les provinces mais la date de ce recensement n'est pas sûre puisqu'il en fit trois pendant son règne.

Sinon, il y avait toujours le recensement quinquennal à Rome et dans les municipes, et de façon plus épisodiques dans les provinces. Les nombreux papyrus conservés en Égypte semblent démontrer que l'Égypte était recensée tous les quatorze ans.

Lorsque l'empereur voulait recenser tout l'empire il pouvait prendre le titre de censeur. Claude, par exemple, fit un tel recensement. Voilà pour le census.

Qui est Hérode ?

Hérode est un nom de famille aussi. Hérode le Grand est mort en 4 avant J.-C. mais ses fils Archélaüs, Antipas et Philippe se nommaient tous les trois Hérode aussi. Toutefois, nous pouvons être assuré qu'Hérode cité comme roi à la naissance de Jésus est Hérode le Grand. Jésus naquit donc avant l'an 4 avant J.-C. si nous croyons Matthieu.

N'oublions pas que l'ère chrétienne fut « inventée » par le moine Denys le Petit, 500 ans après la naissance du Christ, et tous savent qu'il s'est trompé ! On ne peut donc imputer l'erreur de Denys aux évangélistes.

Alors quid de ce recensement ? Que dit Matthieu ? Hérode apprend qu'un roi est né à Bethléem. Il y envoie des espions. Joseph et Marie se sauvent en Égypte. Hérode, furieux que ses espions n'aient rien trouvé, ordonne de faire mourir tous les garçons nés depuis deux ans. Notons au passage que ce massacre est aussi connu par une plaisanterie d'Auguste citée dans Les Saturnales de Macrobe (II, 4.11) :

Ayant appris que, parmi les enfants de moins de deux ans que le roi des Juifs Hérode avait ordonné de massacrer, son propre fils avait été tué, Auguste s'écria : « J'aimerais mieux être le pourceau que le fils d'Hérode. »

En réalité, ce mot d'Auguste fut dit à l'occasion de l'exécution des deux fils d'Hérode, Alexandre et Aristobule, par leur père. Mais Macrobe, païen du IVe siècle, donne un crédit historique à la version évangélique de la mort des « innocents ». Il est clair qu'Hérode n'avait pas un fils de moins de deux ans vers la fin de son règne !

Apprenant la mort d'Hérode et qu'Archélaüs est devenu roi de Judée, en l'an 4 avant J.-C., Joseph revient et va à Nazareth.
Matthieu ne mentionne pas le recensement. En revanche, Luc dit que Jésus naquit pendant le recensement du monde entier par Auguste, entre 29 avant J.-C. et 14 après J.-C., et que ce recensement eut lieu quand Quirinius était gouverneur de Syrie.
Pourquoi citer le gouverneur de Syrie ? Parce que la Syrie et la Judée étaient sous l'autorité du légat propréteur de Syrie. Mais cela cessa justement après la déposition d'Archélaüs et le premier préfet de Judée – cum jure gladii –, c'est-à-dire avec tous les pouvoirs de justice, fut un certain Coponius.

Il y eut effectivement un recensement cette année-là. Comme le dit Flavius Josèphe dans la Guerre des Juifs (II, 8.1) :

« Après la réduction en province du territoire d'Archélaüs, le chevalier romain Coponius y est envoyé comme préfet, ayant reçu de César (Auguste) les pleins pouvoirs y compris le droit de vie et de mort – legatus cum jure gladii. Sur ces entrefaites, un Galiléen du nom de Judas essayait de soulever ses compatriotes : il leur faisait honte de consentir à payer tribut aux Romains. »

Il est manifeste que les deux événements sont liés : le territoire d'Archélaus est réduit en province romaine ; le nouveau légat exige un tribut et recense la population. Mais s'agit-il du recensement dont parle Luc ? Ce changement de statut du territoire d'Archélaüs pouvait-il entraîner le recensement de tout l'empire ? C'est peu probable.
Et Luc aurait parlé de Coponius et non de Quirinius.

Mais qui est ce Quirinius ?

Publius Sulpicius Quirinius est un sénateur qui devint consul en l'an 12 avant J.-C. Il est mentionné par Tacite dans une courte notice biographique à l'année de sa mort, en 21 après J.-C. Consul en 12 avant J.-C., il reçut les insignes du triomphe en enlevant d'assaut les forteresses des Homonades en Cilicie et fut adjoint comme conseiller à Caius César, quand celui-ci gouverna l'Arménie (1 avant J.-C. – 4 après J.-C.).

Voici comment les historiens, en complet désaccord, font se dérouler la carrière de Quirinius :

Du point de vue des historiens, la deuxième légation de Syrie de Quirinius repose sur une inscription dite « CIL. XIV. 3613. ». C'est une pierre trouvée à Tivoli, en Italie, qui ne mentionne pas le nom du destinataire mais sur laquelle est inscrit « legatus Aug. propraetore Syriae iterum ». Elle peut se traduire par « légat d'Auguste propréteur de Syrie pour la seconde fois ». L'historien H.G. Pflaum considère que le mot « iterum » concerne legatus et non Syria. Pour ce dernier, la phrase signifie donc « pour la seconde fois légat d'Auguste propréteur, [il gouverna] la Syrie ». En ce cas, il s'agirait d'un homme qui gouverna la Syrie pour sa deuxième légation proprétorienne, et non pas un légat propréteur qui gouverna la Syrie une seconde fois.

Le problème est que Flavius Josèphe, qui cita le recensement ou le paiement du tribut des Juifs de Judée après la déposition d'Archélaüs en 6 après J.-C., le fait en mentionnant Coponius, une fois, puis en disant que Judas avait vitupéré ses concitoyens contre ce paiement quand Quirinius fut envoyé pour établir le cens, à deux autres endroits. Ce même Judas de Galilée cité au moment de la réduction de la Judée en province.

Comment savoir ? Si le recensement avait eu lieu pendant la première légation de Quirinius, alors qu'il en avait le pouvoir puisque la Judée dépendait de la Syrie, nous aurions la fourchette 12 avant J.-C. à 2 avant J.-C., grand maximum. C'est aussi dans cette période que mourut Hérode le Grand. Ce qui accorde les textes de Luc et de Matthieu.

Faire le recensement en 6 après J.-C., à la déposition d'Archélaüs, semble erroné pour la raison qu'il y avait un préfet de Judée, Coponius, et qu'il s'agissait plus d'un recensement causé par la réduction de la Judée en province romaine qu'un recensement mondial. Mais nous avons grâce à Suétone ce renseignement sur Auguste (Divus Augustus, 27, 11) :

« Il fit trois fois le recensement du peuple, la première et la troisième, avec un collègue, la seconde seul. »

C'est-à-dire en 28 avant J.-C. avec Marcus Agrippa, en 8 avant J.-C., tout seul, et en 14 après J.-C. avec Tibère.
La seule fois où une date de recensement mondial du temps d'Auguste correspond à Luc et Matthieu est celle de 8 avant J.-C. À cette date, Quirinius est bien dans la fourchette des dates 12 avant J.C. et 2 avant J.-C., légat de Syrie et de Judée, et Hérode le Grand a encore environ trois ans à vivre. Jésus aurait donc pu naître en 8 avant J.-C.

Quant à Flavius Josèphe, il a pu confondre le recensement mondial de 8 avant J.-C., sous les auspices de Quirinius en Judée et en Syrie, avec le tribut imposé par Coponius en 6 après J.-C., à la déposition d'Archélaüs et avec un second recensement, mais local, de Quirinius en Syrie où il était légat pour la seconde fois.

L'erreur de Josèphe

Mais où cela se complique est au chapitre 8 du livre VII de la Guerre des Juifs où nous lisons :

« Les Sicaires, qui s'en étaient emparés, avaient à leur tête Éléazar, homme influent, descendant de Judas qui avait persuadé un nombre considérable de Juifs, comme nous l'avons exposé plus haut, de refuser d'établir les registres des contributions lorsque Quirinius avait été envoyé en Judée pour établir le cens. »

Là, il s'agit bien d'un recensement sous l'autorité de Quirinius. Or le seul endroit où l'on parle de ce Judas en révolte est le passage que cité plus haut. L'année où la Judée fut réduite en province romaine est l'an 6 après J.-C.

Pour donner raison à Flavius Josèphe, il faut que Matthieu se soit trompé en faisant naître Jésus sous le règne d'Hérode. Il faut supposer que Quirinius fut légat de Syrie en 6 après J.-C., une seconde fois, et qu'un recensement « global » de l'Empire ait eu lieu aussi cette année-là. Or Suétone ne parle pas de recensement global pour 6 après J.-C. ; la Judée a un préfet en la personne de Coponius, qui n'en doutons pas était capable de faire le recensement supposé en son nom, le second gouvernement de Quirinius n'est pas sûr à 100 % et, en ce cas, il faudrait faire de Coponius un adjoint de Quirinius ce qui est contradictoire avec ses « pleins pouvoirs ».
Alors que si l'on part du témoignage fiable de Suétone qui parle d'un recensement global en 8 avant J.-C., de la plus grande certitude que Quirinius était légat de Syrie à cette date et qu'Hérode était encore en vie, nous balayons d'un coup toutes les suppositions capillotractées ci-dessus. Suétone a raison, Matthieu a raison, Luc a raison. Seul Flavius Josèphe aurait tort dans son chapitre 8 du livre VII. Mais il se reprend puisqu'il n'a pas fondamentalement tort dans le livre II chapitre 8.

Le seul hic serait de dire qu'un légat de Syrie ne pouvait recenser le royaume d'Hérode. Mais cela ne tient pas. Le Royaume d'Hérode était soumis à l'autorité directe d'Auguste. Si Auguste, seul en personne, fait recenser l'Empire en 8 avant J.-C., le légat de Syrie était le fonctionnaire romain le plus approprié pour faire exécuter le cens dans le Royaume vassal d'Hérode.
Mais il y a d'autres indices. Luc, celui qui parle du recensement, écrit qu'au temps d'Hérode, roi de Judée, vivait un prêtre nommé Zacharie. Il est vieux et sa femme Élisabeth aussi. Mais un ange vient leur annoncer qu'ils auront un enfant. Il s'agit de Jean-Baptiste. Chez ce même Luc, on apprend que six mois plus tard l'ange Gabriel rend visite à Marie. Nous sommes, comme dans Matthieu, sous le règne d'Hérode.

Que dit Luc à propos du recensement ?

En ce temps-là parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier. Évidemment, il s'agit de l'Empire et des royaumes vassaux. Le seul recensement qui convient est bien celui de 8 avant J.-C.
Un décret, lit-on. À la déposition d'Archélaüs, en 6 après J.-C., il s'agissait d'autre chose. La Judée devenait province romaine sous l'autorité de Coponius. Hérode était mort depuis longtemps.

Bilan

D'après tous ces détails, Jésus serait donc né en 8 avant J.-C. Évidemment, cela implique qu'il n'a plus 33 ans en 33 après J.-C. sous Pilate... mais si nous lisons dans Luc (3, 23) que « Jésus lors de ses débuts, avait environ trente ans », nous lisons chez Jean (8, 57) que les Judéens disent à Jésus : « Tu n'as pas encore cinquante ans. » S'il fut crucifié sous Pilate, gouverneur de Judée de 26 à 36, nous avons l'an 8 avant J.-C. pour la naissance à la fourchette de 29 après J.-C. (36 ans) à 36 après J.-C. (43 ans) pour la mort.

Selon les calculs, la mort de Jésus tomba l'an 33 de notre ère. Elle ne peut être antérieure à l'an 29 car la prédication de Jean-Baptiste et de Jésus commença en l'an 28 d'après Luc (3, 1) puisque « la quinzième année du règne de Tibère César, alors que Pilate était gouverneur de la Judée [...] la parole de Dieu fut annoncée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert ». Or Tibère régna à partir de 14 après J.-C. et la mort du Christ ne peut être logiquement postérieure à l'an 36, puisque Pilate et Caîphe perdirent leurs fonctions en 36. Et si l'on rejette l'an 33, pour trouver une année dont le 14 Nisan tombe un vendredi, il faut soit remonter à l'an 29, soit descendre à l'an 36.

Caligula

 

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