Les lettres ramistes

Le plaisir des langues anciennes ressort aussi à travers des petites truculences qui y sont rattachées.
 

L'alphabet latin est une adaptation de l'alphabet étrusque, qui provient de l'alphabet grec chalcidien, lui-même issu de l'alphabet phénicien. Il se compose de 23 lettres : les mêmes que les lettres de l'alphabet français privé de la lettre « w », emprunté aux langues germaniques, et des deux lettres d'adaptation tardive « j » et « v ».

Une première différenciation entre les deux lettes « i » et « j » fut amorcée par les Romains ipsi en utilisant un caractère de plus haute taille que les autres pour noter le « i » long, équivalent du « j ».
À l'initiative pédagogique du savant Petrus Ramus au XVIe siècle (1515-1572), les deux lettres « j » et « v » sont utilisées pour faire la distinction graphique entre les valeurs consonnantique et vocalique de « i » et « u ».

La lettre « i / I » est donc ambivalente : elle peut se comporter entre deux consonnes comme une voyelle [i] ou, à l'initiale d'une syllabe, comme une consonne [j].
La lettre « u / v » se comporte entre deux consonnes comme une voyelle [u] ou, à l'initiale d'une syllabe, comme une consonne [w]. Tandis que le « j » est une pure invention moderne, le « u » et le « V » existent tous deux en latin, mais dans des écritures de type différent – cursive et capitale – et toujours pour noter à la fois la consonne labiovélaire [w] et la voyelle [u] prononcée /ou/.
Les lettres ramistes « j » et « v » notent en conséquence la valeur consonantique de « i » et « u ». Remarquons au passage la modification de l'utilisation de la majuscule « V » étant donné que les couples de lettres deviennent « i / I », « j / J », « u / U » et « v / V ».

 

Quintilien écrivit à ce propos, dans son Institution Oratoire (I, 4, 10) :

[X] Atque etiam in ipsis uocalibus grammatici est uidere, an aliquas pro consonantibus usus acceperit, quia « iam » sicut « etiam » scribitur et « quos » ut « tuos ». At quae ut uocales iunguntur, aut unam longam faciunt, ut ueteres scripserunt, qui geminatione earum uelut apice utebantur, aut diphthongum ; iungimus autem non plures quam duas : nisi quis putat etiam ex tribus uocalibus syllabam fieri, si non aliquae officio consonantium fungantur.
[XI] Quaeret hoc etiam, quo modo duabus demum uocalibus in se ipsas coeundi natura sit, cum consonantium nulla nisi alteram frangat. Atqui littera « i » sibi insidit « coniicit » enim est ab illo « iacit » et « u », quo modo nunc scribitur « uulgus » et « seruus ». Sciat etiam Ciceroni placuisse « aiio Maiiamque » geminata « i » scribere : quod si est, etiam iungetur ut consonans.

 

[10] Relativement aux voyelles, le grammairien examinera encore si l'usage n'a point donné à quelques-unes force de consonne, puisque « iam » est écrit comme « etiam », et « quos » comme « tuos ». Il aura aussi à remarquer comment on les joint ensemble car, par le moyen de cette jonction, tantôt on en fait une diphtongue, à la manière des anciens, chez qui ce redoublement tenait lieu d'accent ; et tantôt on les fait longues toutes deux, ce qui ne peut aller plus loin, à moins qu'on ne s'imagine pouvoir faire une syllabe de trois voyelles : mais cela ne saurait jamais être, si l'une de ces voyelles ne fait l'office de consonne.
[11] Il recherchera comment deux voyelles semblables ont seules la propriété de se confondre, tandis qu'aucune consonne ne peut s'unir à une seconde sans l'affaiblir. Cependant la lettre « i » s'appuie sur elle-même dans « coniicit » formé de « iacit », et la lettre « u » dans « uulgus » et « seruus », comme on les écrit à présent. Il remarquera à ce sujet que Cicéron aimait le redoublement de la lettre « i » dans « aiio et Maiia » et que dans ce cas l'un des deux « i » devient consonne.

Il suffit de comparer la graphie antique iuuenis et la graphie moderne et « pédagogique » de Pierre de la Ramée juvenis pour remarquer la clarté supplémentaire que celle-ci apporte. En faisant porter ses recherches dans tous les domaines du langage parlé et écrit, cet humaniste français affirma l'interdépendance entre une réforme de l'entendement et une réforme de la langue ; aussi réforma-t-il la grammaire et l'orthographe, explicita-t-il la prononciation exacte ou pratiqua-t-il les vers métriques.

Pour éviter que la même lettre ne notât successivement une consonne puis une voyelle, les Latins conservèrent d'anciennes graphies : nouos pour nouus – c'est-à-dire novus – ou quom pour cum.

Par ailleurs, l'empereur Claude voulut ajouter un digamma inversé digamma inversé à l'alphabet romain, dans le but de le substituer à la lettre « u » lorsqu'elle représente une consonne. Toutefois, cette nouvelle lettre fut négligée, quoiqu'il fût possible de la rencontrer dans des inscriptions, notamment au sujet de la déesse Minerwa.

C. Pompeius Trimalchio et Iulius répondant à Best.

 

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