Les deux livrets de Caligula

Le plaisir des langues anciennes ressort aussi à travers des petites truculences qui y sont rattachées.
 

Au paragraphe 49 de la Vie de Caligula, Suétone écrit :

Quod ne cui dubium uideatur, in secretis eius reperti sunt duo libelli diuerso titulo, alteri « Gladius », alteri « Pugio » index erat ; ambo nomina et notas continebant morti destinatorum.

Voici comment le traduit... Caligula :

« Et pour que personne n'en doutât, on découvrit dans ses papiers secrets deux livrets avec un titre différent, l'intitulé de l'un était « le Glaive », de l'autre « le Poignard » ; tous deux contenaient les noms et des annotations de ceux qu'il destinait à la mort. »

Et Iulius :

« Afin que cela ne semblât douteux pour personne, furent découverts dans ses papiers secrets deux écrits différemment intitulés, l'un ayant pour titre « le Glaive », l'autre « le Poignard » ; tous les deux indiquaient les noms et les crimes de ceux qu'il destinait à la mort. »

Ici, index est synonyme de titulus, puisqu'il est explicité par pugio et gladius, tous les trois au nominatif. Quant à notae, il est possible de rester dans le vague, comme Suétone, car le sens de crimes ou de blâmes inscrits à côté d'un nom par les censeurs n'en est pas le seul. Suétone aime bien jouer avec le sens des mots !
En outre, puisque Suétone prétend que la trouvaille de ces deux cahiers doit ôter tout doute, nous aurions attendu plus de détails, des noms et des notae par exemple, mais le concierge reste bien vague, comme d'habitude avec Caligula...
Le terme index est aussi dénonciateur, lorsque l'on parle d'un « indicateur ».

Voyons comment Suétone procède : tout d'abord l'annonce tonitruante qu'il va effacer le doute de ses lecteurs. Ensuite, à la Indiana Jones ou à la Sherlock Holmes, il parle d'une trouvaille dans des papiers secrets. In secretis ! Bigre ! Et que trouvons-nous ? Deux cahiers avec des titres qui suffisent à faire frissonner. Le poignard et le glaive ! Puis, pour bien décrire la trouvaille, ces deux cahiers donneraient la liste de personnes que Caligula veut envoyer à la mort...

Il est assuré qu'avec des noms aussi sinistres – glaive et poignard –, ces deux carnets ne pouvaient que contenir une liste de victimes.

Oui mais...

Pugio, qui signifie poignard, signifie aussi ce que l'on tient dans le poing. C'était le titre d'un petit livre, un livre de poing, comme l'on dirait un livre de poche. Plus qu'un titre, un pugio, comme son équivalent grec « encheiridion », signifiait un « manuel », un livre que l'on tient facilement en main.
Le recueil des maximes du philosophe stoïcien Épictète est d'ailleurs intitulé Encheiridion, et ce mot grec signifiant manuel ou « livre de main », a aussi pour premier sens un poignard. On reconnaît la racine « chir » de chirurgien : cette racine signifie la main, d'où manuel.
Or si vous vous jetez sur le Poignard d'Épictète, vous ne lirez rien de bien meurtrier.

Caligula et Iulius.

 

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