Sens de parcours sinistrogyre

Le plaisir des langues anciennes ressort aussi à travers des petites truculences qui y sont rattachées.
 

Dans les stades, et apparemment depuis les premiers jeux grecs, on tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Cela s'appelle la progression sinistrogyre (main gauche vers le centre du cercle), aussi dite sinistrorsum, à l'inverse de la progression dextrogyre (main droite vers le centre du cercle, i.e. dans le sens des aiguilles d'une montre). Cette façon de « procéder », au sens latin du terme, est encore en vigueur en franc-maçonnerie pour les déplacements dans le temple, mais à contre-sens, à la suite probablement d'une erreur de transmission. En effet, on est à dextrogyre en maçonnerie, ce qui peut paraître paradoxal puisqu'elle est l'héritière de très vieux usages (à l'image de la poignée de main nue française qui remonte à la chevalerie car on se dégantait en signe de désarmement, du baise-main qui en principe ne s'adressait qu'aux hommes, des premières gouttes de vin que le maître de maison se versait avant que de servir ses invités, etc.). Ou alors c'est le péché d'hybris et voici pourquoi : ce sont des vieilleries sans plus aucun sens de nos jours mais qui en ont eu un dans le passé.

Le côté gauche est faible et doit donc être protégé. On expose à l'extérieur le côté droit, côté fort et capable de se défendre ; on tourne vers l'intérieur le côté gauche, côté faible et qui a besoin de protection (censée être l'écu, mais aussi symboliquement le groupe, le village, la communauté, la citadelle, etc.) d'où la procession sinistrogyre.
Chez le soldat antique, puis médiéval, la main droite nue tient l'épée et la main gauche tient le bouclier protecteur (voir le David de Michel-Ange qui a la tête tournée vers la gauche car il surveille son côté faible). D'une façon générale, dans l'art classique, les guerriers ont toujours le visage qui surveille le côté gauche. On a également dans la Bible des allusions à cette fameuse faiblesse de la gauche qui est peut-être à l'origine du sens négatif du mot sinister qui finalement en viendra à signifier « néfaste » et donc, en français moderne, « sinistre ».

En automobile, les Anglais ont raison et sont les héritiers de l'usage ancien. Les cavaliers circulaient à gauche en présentant vers l'intérieur de la route leur main droite prête à saisir l'épée sise à gauche, raison pour laquelle tous les cavaliers du monde montent par le pied gauche pour ne pas effaroucher le cheval par un contact brusque avec l'épée.

L'hybris

C'est une notion culturelle et éthique de la Grèce ancienne : la démesure, et aussi l'orgueil. En botanique, un végétal hybride (rosier, courgette, etc.) est un produit surdimensionné ou modifié à l'encontre des lois de la nature. Pour les Grecs de l'époque classique, l'idéal était une sorte d'équilibre parfait fait de mesure. Leur devise était d'ailleurs mêden agan, c'est-à-dire « rien de trop ». La démesure et l'excès sous toutes ses formes étaient donc pour eux la faute absolue. C'est une conception qui revient de façon récurente dans la littérature grecque et notamment dans la tragédie. Un bel exemple se trouve dans l'Ajax de Sophocle ou l'hybris conduit Ajax à la folie et au suicide.

Oncle Fétide répondant à Bruno Audomar.

 

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