César craint les maigres

Le plaisir des langues anciennes ressort aussi à travers des petites truculences qui y sont rattachées.
 

Parlons un peu de César :

Huc geminas nunc flecte acies, hanc aspice gentem
Romanosque tuos. Hic Caesar et omnis Iuli
Progenies magnum caeli uentura sub axem.
Hic uir, hic est, tibi quem promitti saepius audis,
Augustus Caesar, diui genus...

Virgile, Énéide, VI, 788, sqq.

Maintenant, tourne les yeux de ce côté, vois cette nation,
Et tes Romains. Voici César, et toute la descendance de Iule,
Qui un jour apparaîtra sous l'immense voûte céleste.
Ce héros, c'est lui, que si souvent tu entends dire qu'il t'est promis ;
Auguste César, né d'un dieu...

Traduction d'Yves Ouvrard

 

Dans la Vie de Brutus, incluse dans les Vies parallèles de Plutarque, cet auteur nous relate un renseignement sur César :

[VIII] César même n'était pas sans quelque soupçon sur son compte, et souvent on lui faisait de lui des rapports défavorables ; mais s'il craignait l'élévation de son âme, sa dignité personnelle et le crédit de ses amis, il se fiait à la bonté de son naturel et de ses mœurs. Cependant, quelqu'un étant venu lui dire qu'Antoine et Dolabella tramaient quelques nouveautés :
« Ce ne sont pas, répondit-il, ces gens si gras et si bien peignés que je crains, mais ces hommes maigres et pâles. »
Il désignait par là Brutus et Cassius. Quelque temps après, comme on lui dénonça Brutus, en l'avertissant de se tenir en garde contre lui, il porta la main sur son corps :
« Eh ! Quoi, dit-il, croyez-vous que Brutus n'attendra pas la fin de ce corps si faible ? »
Il voulait faire entendre qu'après lui, Brutus était le seul à qui pût appartenir une si grande puissance. Il est vraisemblable en effet que si Brutus, consentant à être quelque temps le second, eût laissé la puissance de César diminuer peu à peu, et la gloire de ses grands exploits se flétrir, il serait incontestablement devenu le premier dans Rome.

Et similairement, dans la Vie de César de Plutarque :

[LXVIII] Cassius, qui s'aperçut que ces reproches réveillaient insensiblement en Brutus un vif désir de gloire, le pressa lui-même beaucoup plus qu'il n'avait fait encore ; car il avait contre César des motifs particuliers de haine, que nous ferons connaître dans la vie de Brutus. Aussi César, qui avait des soupçons sur son compte, dit-il un jour à ses amis : « Que croyez-vous que projette Cassius ? Pour moi, il ne me plaît guère, car je le trouve bien pâle. » Une autre fois on accusait auprès de lui Antoine et de Dolabella de tramer quelques nouveautés. « Ce n'est pas, dit-il, ces gens si gras et si bien peignés que je redoute ; je crains plutôt ces hommes si pâles et si maigres. » Il désignait Brutus et Cassius.

C'est donc que César se méfiait déjà de son fils, susceptible d'ourdir.

Notons que Shakespeare immortalisa ce passage dans les vers 191 à 194 de la seconde scène de l'acte premier de son Julius Caesar, où César relate à Antoine :

« Let me have men about me that are fat;
Sleek-headed men, and such as sleep o'nights:
Yond Cassius has a lean and hungry look;
He thinks too much: such men are dangerous. »

Aussi souhaita-t-il de Brutus « Would he were fatter! But I fear him not » (vers 199).

Jean Poulain et Yves Ouvrard répondant à Cosi.

 

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