De natura deorum – Liber I (I à X)

Document PDF à télécharger Ugo Bratelli, participant actif aux forums de langues anciennes, est l'auteur de la traduction du troisième livre du De natura deorum, traduction française qui est d'ailleurs la première depuis plus d'un demi-siècle !
Le troisième livre du De natura deorum est téléchargeable dans une version PDF PDF pour en faciliter la consultation et l'impression.
 

Pars I

[I] Cum multae res in philosophia nequaquam satis adhuc explicatae sint, tum perdifficilis, Brute, quod tu minime ignoras, et perobscura quaestio est de natura deorum, quae et ad agnitionem animi pulcherrima est et ad moderandam religionem necessaria. De qua tam variae sunt doctissimorum hominum tamque discrepantes sententiae, ut magno argumento esse debeat causam et principium philosophiae esse inscientiam, prudenterque Academicos a rebus incertis adsensionem cohibuisse. Quid est enim temeritate turpius ? aut quid tam temerarium tamque indignum sapientis gravitate atque constantia quam aut falsum sentire aut, quod non satis explorate perceptum sit et cognitum, sine ulla dubitatione defendere ?
[1] Vu que beaucoup d'objets en philosophie ne sont pas encore suffisamment débrouillés, le problème de la nature des dieux qui est très belle pour l'étude de l'âme et utile pour régler nos scrupules religieux est très ardu et fort obscur, ce que, Brutus, tu n'ignores pas. Au sujet de quoi les avis des hommes les plus sages sont si variés et si discordants que cela doit constituer une preuve convaincante que la cause et l'origine de la philosophie sont l'ignorance, et que c'est prudemment que les académiciens retinrent leur assentiment sur les choses incertaines. En effet, qu'y a-t-il de plus honteux que l'irréflexion ou d'aussi inconsidéré et indigne pour le sérieux et la constance du sage que de penser faux ou de défendre, sans nullement douter, un point de vue qui serait compris et reconnu sans avoir été suffisamment débattu ?
[II] Velut in hac quaestione plerique, quod maxime veri simile est, et quo omnes duce natura venimus, deos esse dixerunt, dubitare se Protagoras, nullos esse omnino Diagoras Melius et Theodorus Cyrenaicus putaverunt. Qui vero deos esse dixerunt, tanta sunt in varietate et dissensione, ut eorum molestum sit dinumerare sententias. Nam et de figuris deorum et de locis atque sedibus et actione vitae multa dicuntur, deque his summa philosophorum dissensione certatur ; quod vero maxime rem causamque continet, utrum nihil agant, nihil moliantur, omni curatione et administratione rerum vacent, an contra ab iis et a principio omnia facta et constituta sint et ad infinitum tempus regantur atque moveantur, in primis magna dissensio est, eaque nisi diiudicatur, in summo errore necesse est homines atque in maximarum rerum ignoratione versari.
[2] De même que sur ce problème la plupart ont dit que les dieux existaient, ce qui est vraisemblable et nous y venons tous sous la conduite de la nature, Protagoras douta de leur existence, Diagoras de Melée et Théodore le Cyrénéen estimèrent que les dieux n'existaient pas du tout. Quant à ceux qui ont dit que les dieux existaient, ils sont d'une telle diversité et d'une telle divergence d'opinions qu'il faudrait plus d'une vie pour énumérer leurs avis. Car beaucoup ont parlé de l'aspect des dieux, où ils vivent et siègent, et de leur activité sur la vie, quant au sujet de la profonde divergence d'opinions des philosophes, il y a débat sur ceci, puisqu'il contient absolument l'objet et la cause, à savoir soit que les dieux sont inactifs, n'entreprennent rien et sont absents du soin et de l'administration des choses, soit, au contraire, que tout a été créé et institué par eux depuis le début et par eux conduit et mis en branle jusqu'à la fin des temps, mais avant tout il y a ce grand désaccord, et il le restera à moins de trancher : il est obligatoire que les hommes soient dans une profonde errance et vivent dans l'ignorance des affaires les plus importantes.
 

Pars II

[III] Sunt enim philosophi et fuerunt, qui omnino nullam habere censerent rerum humanarum procurationem deos. Quorum si vera sententia est, quae potest esse pietas, quae sanctitas, quae religio ? Haec enim omnia pure atque caste tribuenda deorum numini ita sunt, si animadvertuntur ab iis, et si est aliquid a deis inmortalibus hominum generi tributum. Sin autem dei neque possunt nos iuvare nec volunt nec omnino curant nec, quid agamus animadvertunt, nec est, quod ab iis ad hominum vitam permanare possit, quid est quod ullos deis inmortalibus cultus, honor es, preces adhibeamus ?
[3] Aujourd'hui, il y a des philosophes, comme il y en eut autrefois, pour penser que les dieux ne se soucient nullement des activités humaines. Mais leur opinion, si elle vraie, à quoi bon la piété, la pureté, les scrupules religieux ? Car toutes ces vertus, il faut les offrir avec honnêteté et décence à la puissance des dieux, si elles sont recherchées par eux et si quelque chose a été donné au genre humain par les dieux ; parce que si les dieux n'ont ni le pouvoir ni la volonté de nous aider, s'ils ne se soucient de nous en rien, s'ils ne s'intéressent pas à ce que nous faisons, s'il n'est rien qui puisse émaner d'eux envers notre condition humaine, pourquoi leurs présenterions-nous ces rites, ces honneurs et ces prières ?
In specie autem fictae simulationis, sicut reliquae virtutes, item pietas inesse non potest, cum qua simul sanctitatem et religionem tolli necesse est, quibus sublatis perturbatio vitae sequitur et magna confusio ;
[...]
[IV] atque haud scio an pietate adversos deos sublata fides etiam et societas generis humani et una excellentissima virtus, iustitia, tollatur. Sunt autem alii philosophi, et ii quidem magni atque nobiles, qui deorum mente atque ratione omnem mundum administrari et regi censeant, neque vero id solum, sed etiam ab isdem hominum vitae consuli et provideri ; nam et fruges et reliqua, quae terra pariat, et tempestates ac temporum varietates caelique mutationes, quibus omnia, quae terra gignat, maturata pubescant, a dis inmortalibus tribui generi humano putarit multaque, quae dicentur in his libris, colligunt, quae talia sunt, ut ea ipsa dei inmortales ad usum hominum fabricati paene videantur. Contra quos Carneades ita multa disseruit, ut excitaret homines non socordes ad veri investigandi cupiditatem.
[4] Et je ne sais pas si, par la suppression des devoirs envers les dieux la confiance, voire la communauté du genre humain et l'équité, vertu d'entre toutes la plus éminente, ne seraient pas elles aussi supprimées. Or il y a d'autres philosophes, et ceux-là assurément importants et connus, qui sont d'avis que le monde entier est régi et administré par l'esprit et l'intelligence des dieux, et pas seulement de cet avis, car en plus par ces mêmes philosophes, les dieux sont estimés pourvoyants et bienveillants envers la condition humaine. Puisque les fruits et tout ce que la terre produit, ainsi que les saisons, les variations climatiques, les changements du ciel, ils les pensent donnés au genre humain par les dieux immortels, ils recueillent dans ces fameux livres beaucoup de choses que les dieux diront et qui sont telles que les dieux immortels semblent presque les avoir imaginé à l'usage des hommes. Contre ceux-ci, Carnéade a beaucoup disserté au point de réveiller les indolents au désir de rechercher la vérité.
[V] Res enim nulla est, de qua tantopere non solum indocti, sed etiam docti dissentiant ; quorum opiniones cum tam variae sint tamque inter se dissidentes, alterum fieri profecto potest, ut earum nulla, alterum certe non potest, ut plus una vera sit.
[5] Il n'existe aucun sujet sur lequel il y a autant de désaccords non seulement entre profanes mais aussi entre gens instruits et leurs opinions sont aussi variées que discordantes entre elles; d'un côté assurément cela peut arriver qu'aucune d'elles ne soit vraie, d'un autre côté il est certain qu'il ne se peut qu'une seule soit plus vraie.
 

Pars III

Qua quidem in causa et benivolos obiurgatores placare et invidos vituperatores confutare possumus, ut alteros reprehendisse paeniteat, alteri didicisse se gaudeant ; nam qui admonent amice, docendi sunt, qui inimice insectantur, repellendi.
Mais sur cette question nous pouvons adoucir les censeurs bienveillants et réfuter les critiques jaloux, de sorte que les uns aient honte d'avoir été repris et les autres se réjouissent d'avoir appris. En effet, il faut enseigner ceux qui font des remarques en amis et repousser ceux qui s'acharnent en ennemis.
[VI] Multum autem fluxisse video de libris nostris, quos compluris brevi tempore edidimus, variumque sermonem partim admirantium, unde hoc philosophandi nobis subito studium extitisset, partim, quid quaque de re certi haberemus, scire cupientium. Multis etiam sensi mirabile videri eam nobis potissimum probatam esse philosophiam, quae lucem eriperet et quasi noctem quandam rebus offunderet, desertaeque disciplinae et iam pridem relictae patrocinium necopinatum a nobis esse susceptum. Nos autem nec subito coepimus philosophari nec mediocrem a primo tempore aetatis in eo studio operam curamque consumpsimus et, cum minime videbamur, tum maxime philosophabamur, quod et orationes declarant refertae philosophorum sententiis et doctissimorum hominum familiaritates, quibus semper domus nostra floruit, et principes illi, Diodotus, Philo, Antiochus, Posidonius, a quibus instituti sumus.
[6] Or je vois que pas mal de choses ont découlé de mes livres qu'en peu de temps j'ai publié en grand nombre ainsi que les divers commentaires d'une part de ceux qui se demandent avec étonnement d'où me serait venu subitement cet amour de philosopher, d'autre part de ceux qui désirent savoir ce que je détiens d'assuré de chacun de ces sujets ; pour beaucoup même ils pensent avec surprise, quand la philosophie déroberait la lumière et étendrait une sorte de nuit sur les choses, que je parais l'approuver très puissamment et semble me charger de la défense surprenante de ce savoir abandonné et depuis longtemps délaissé. Mais je ne me suis pas mis subitement à pratiquer la philosophie et j'ai donné mon soin et un temps qui n'est pas médiocre à cette étude depuis ma plus tendre enfance et c'est quand je paraissais moins m'y adonner que je philosophais le plus ; car mes discours démontrent qu'ils sont remplis des idées des philosophes et ma familiarité avec les hommes les plus sages, qui ont toujours brillé chez moi et principalement Diodote, Philon, Antiochos et Posidonios par qui je fus éduqué.
[VII] Et si omnia philosophiae praecepta referuntur ad vitam, arbitramur nos et publicis et privatis in rebus ea praestitisse, quae ratio et doctrina praescripserit.
[7] Si l'on ramène tous les préceptes de la philosophie à la vie, j'estime qu'ils ont une grande valeur autant dans les affaires privées que publiques, parce qu'ils ont été prescrits par le jugement et le savoir.
 

Pars IV

Sin autem quis requirit, quae causa nos inpulerit, ut haec tam sero litteris mandaremus, nihil est, quod expedire tam facile possimus. Nam cum otio langueremus, et is esset rei publicae status, ut eam unius consilio atque cura gubernari n ecesse esset, primum ipsius rei publicae causa philosophiam nostris hominibus explicandam putavi magni existimans interesse ad decus et ad laudem civitatis res tam gravis tamque praeclaras Latinis etiam litteris contineri ;
Mais si quelqu'un me demande quelle raison m'a poussé à publier ces préceptes sur le tard, il n'est rien que je puisse expliquer aussi aisément. En effet, pendant que je m'adonnais à une retraite studieuse et que la situation de l'Etat était tombée dans cette nécessité d'être au soin et aux conseils d'un seul homme, en premier lieu j'ai pensé qu'il me fallait expliquer la philosophie à nos concitoyens pour l'État lui-même, en estimant grandement que des sujets si importants, et assez illustres pour faire aussi partie de la littérature latine, étaient utiles à l'honneur et à la gloire de notre cité.
[VIII] eoque me minus instituti mei paenitet, quod facile sentio, quam multorum non modo discendi, sed etiam scribendi studia commoverim. Complures enim Graecis institutionibus eruditi ea, quae didicerant, cum civibus suis communicare non poterant, quod illa, quae a Graecis accepissent, Latine dici posse diffiderent. Quo in genere tantum profecisse videmur, ut a Graecis ne verborum quidem copia vinceremur.
[8] Et, ce que je ressens facilement, je me repens moins de mon dessein d'autant que j'aurais motivé non seulement le goût de beaucoup pour apprendre mais aussi pour écrire. En effet, la plupart de ceux qui ont été instruits en suivant l'éducation grecque ne pouvaient communiquer à leurs concitoyens ce qu'ils avaient appris parce que ces études, reçues des Grecs, ils désespéraient de pouvoir les rendre en latin ; et à ce sujet je parais être utile d'autant que je ne suis pas surpassé dans l'abondance même du vocabulaire par les Grecs.
[IX] Hortata etiam est, ut me ad haec conferrem, animi aegritudo fortunae magna et gravi commota iniuria ; cuius si maiorem aliquam levationem reperire potuissem, non ad hanc potissimum confugissem ; ea vero ipsa nulla ratione melius frui potui, quam si me non modo ad legendos libros, sed etiam ad totam philosophiam pertractandam dedissem. Omnes autem eius partes atque omnia membra tum facillume noscuntur, cum totae quaestiones scribendo explicantur ; est enim admirabilis quaedam continuatio seriesque rerum, ut alia ex alia nexa et omnes inter se aptae conligataeque videantur.
[9] Le grand souci sur mon sort né d'une grave injustice m'exhorta même à me comporter selon ces préceptes ; car si j'avais pu trouver quelque soulagement plus efficace pour celui-ci je ne me serais pas réfugier vers elle si fortement. Mais j'ai pu profiter d'elle-même mieux que d'aucune discipline quand bien même je me serais non seulement adonné à lire des ouvrages mais aussi à étudier à fond toute la philosophie. Car on apprend alors très facilement à connaître toutes ses parties et tous ses membres quand on explique tous les problèmes en écrivant ; il y a en effet comme une continuation et une suite des sujets de sorte qu'ils semblent soudés les uns aux autres et tous entre eux adaptés et réunis.
 

Pars V

[X] Qui autem requirunt, quid quaque de re ipsi sentiamus, curiosius id faciunt, quam necesse est ; non enim tam auctores in disputando quam rationis momenta quaerenda sunt. Quin etiam obest plerumque iis, qui discere volunt, auctoritas eorum, qui se docere profitentur ; desinunt enim suum iudicium adhibere, id habent ratum, quod ab eo, quem probant, iudicatum vident. Nec vero probare soleo id, quod de Pythagoreis accepimus, quos ferunt, si quid adfirmarent in disputando, cum ex eis quaereretur, quare ita esset, respondere solitos : « Ipse dixit ». « Ipse » autem erat Pythagoras. Tantum opinio praeiudicata poterat, ut etiam sine ratione valeret auctoritas.
[10] Mais ceux qui veulent savoir ce que je pense moi-même de chacune de ces choses, ils agissent avec plus de curiosité que nécessaire ; car dans une argumentation il ne faut pas s'intéresser au poids d'une autorité autant qu'à celui de la raison. Bien plus l'autorité de ceux qui se font fort d'enseigner est généralement nuisible à ceux qui désirent apprendre ; en effet ceux-ci cessent d'employer leur jugement, ils tiennent une chose pour valable parce qu'ils la voient jugée par celui qu'ils approuvent. Quand à moi je n'ai pas coutume d'approuver ce que nous savons des Pythagoriciens dont on dit que, si dans une dispute philosophique ils affirmaient quelque chose et qu'on leur demandait pourquoi cette chose était ainsi, ils avaient l'habitude de répondre « Il l'a dit » ; « Il », c'était Pythagore : son opinion préjugée avait tellement de pouvoir que son autorité prévalait même sans raisonner.
[XI] Qui autem admirantur nos hanc potissimum disciplinam secutos, iis quattuor Academicis libris satis responsum videtur. Nec vero desertarum relictarumque rerum patrocinium suscepimus ; non enim hominum interitu sententiae quoque occidunt, sed lucem auctoris fortasse desiderant ; ut haec in philosophia ratio contra omnia disserendi nullamque rem aperte iudicandi profecta a Socrate, repetita ab Arcesila, confirmata a Carneade usque ad nostram viguit aetatem ; quam nunc prope modum orbam esse in ipsa Graecia intellego. Quod non Academiae vitio, sed tarditate hominum arbitror contigisse. Nam si singulas disciplinas percipere magnum est, quanto maius omnis ? quod facere iis necesse est, quibus propositum est veri reperiendi causa et contra omnis philosophos et pro omnibus dicere.
[11] Quant à ceux qui s'étonnent de ce que j'ai suivi par dessus tout cette discipline, j'ai répondu suffisamment dans mes quatre livres des Académiques. Mais en vérité je n'ai pas pris la défense de sujets oubliés et abandonnés ; car à la mort des hommes les idées ne meurent pas elles aussi mais gardent peut-être le souvenir de l'éclat de leurs auteur. Comme cette méthode philosophique de douter de tout et de ne juger ouvertement aucune chose, née avec Socrate, reprise par Arcésilas, confortée par Carnéade, elle reste en vigueur jusqu'à notre époque ; qu'elle soit presque abandonnée aujourd'hui en Grèce même, je le comprends. Mais je pense que cela est arrivé non à cause d'un manque de l'Académie mais par la lourdeur d'esprit des gens. Car s'il est grand d'aborder chaque discipline, combien il est plus grand encore de les aborder toutes ! ce que sont en nécessité de faire ceux qui se proposent pour trouver la vérité de contrer tous les philosophes et de parler à la place de tous.
[XII] Cuius rei tantae tamque difficilis facultatem consecutum esse me non profiteor, secutum esse prae me fero. Nec tamen fieri potest, ut, qui hac ratione philosophentur, ii nihil habeant, quod sequantur. Dictum est omnino de hac re alio loco diligentius, sed, quia nimis indociles quidam tardique sunt, admonendi videntur saepius. Non enim sumus ii, quibus nihil verum esse videatur, sed ii, qui omnibus veris falsa quaedam adiuncta esse dicamus tanta similitudine, ut in iis nulla insit certa iudicandi et adsentiendi nota. Ex quo exstitit illud, multa esse probabilia, quae quamquam non perciperentur, tamen, quia visum quendam haberent insignem et inlustrem, iis sapientis vita regeretur.
[12] Je ne fais pas l'aveu d'avoir recherché la possibilité d'une chose aussi difficile, je démontre que je la recherche. Car il ne peut se faire que ceux qui font de la philosophie selon cette méthode n'aient rien à rechercher. Sur ce sujet, en un autre endroit, on le dit avec vraiment trop de zèle. Mais parce qu'ils sont trop difficiles à instruire et lents d'esprit pour certains, il faut trop souvent les rappeler à l'ordre. Car je ne suis pas de ces gens qui pensent que rien n'est vrai, mais de ceux qui déclarent qu'à toute vérité se mêle comme des erreurs d'une telle ressemblance qu'en elles il n'y a rien de sûr à discerner et de connu à approuver. De là il s'ensuit aussi que beaucoup de choses sont estimables, et, quoiqu'elles ne soient pas connues avec certitude, pourtant, parce que quelqu'un d'insigne et d'illustre est vu les posséder, elles guident la vie du sage.
 

Pars VI

[XIII] Sed iam, ut omni me invidia liberem, ponam in medio sententias philosophorum de natura deorum. Quo quidem loco convocandi omnes videntur, qui, quae sit earum vera, iudicent. Tum demum mihi procax Academia videbitur, si aut consenserint omnes, aut erit inventus aliquis, qui, quid verum sit, invenerit. Itaque mihi libet exclamare, ut est in Synephebis :

Pro deum, popularium omnium omnium adulescentium
Clamo, postulo, obsecro, oro, ploro atque inploro fidem,

non levissuma de re, ut queritur ille « in civitate fieri facinora capitalia » :
ab amico amante argentum accipere meretrix non vult,

[13] Mais pour me laver de toute jalousie, je divulguerai les idées des philosophes sur la nature des dieux. Certes tous semblent convocables en ce lieu pour juger quelle idée serait vraie ; et alors seulement l'Académie me semblera effrontée si tous auront été d'accord ou si se trouvera quelqu'un pour découvrir ce qui est vrai. C'est pourquoi il me plaît de m'écrier comme dans les Synéphèbes :

J'appelle, je réclame, je demande, je prie, je pleure et implore la foi des dieux, de tous mes amis, de tous les jeunes gens !

Il ne se plaint pas d'une chose très légère, celui qui se plaint qu'on fait de grands crimes contre sa cité :
Une prostituée ne veut pas recevoir l'argent d'un amant.

[XIV] sed ut adsint, cognoscant, animadvertant, quid de religione, pietate, sanctitate, caerimoniis, fide, iure iurando, quid de templis, delubris sacrificiisque sollemnibus, quid de ipsis auspiciis, quibus nos praesumus, existimandum sit ; haec enim omnia ad hanc de dis inmortalibus quaestionem referenda sunt. Profecto eos ipsos, qui se aliquid certi habere arbitrantur, addubitare coget doctissimorum hominum de maxuma re tanta dissensio.
[14] Mais pour prêter son attention, pour savoir, pour constater ce qu'il faut penser des scrupules religieux, du respect, de la pureté, des cérémonies, de la foi, du serment, sur les temples, les sanctuaires et les sacrifices consacrés, sur les auspices mêmes auquels je préside – puisqu'il faut rapporter toutes ces choses au problème des dieux immortels : la discordance des hommes très instruits au sujet d'une telle affaire d'importance obligera assurément de mettre en doute ceux là même qui jugent tenir quelque chose de certain.
[XV] Quod cum saepe alias, tum maxime animadverti, cum apud C. Cottam, familiarem meum, accurate sane et diligenter de dis inmortalibus disputatum est. Nam cum feriis Latinis ad eum ipsius rogatu arcessituque venissem, offendi cum sedentem in exedra et cum C. Velleio senatore disputantem, ad quem tum Epicurei primas ex nostris hominibus deferebant. Aderat etiam Q. Lucilius Balbus, qui tantos progressus habebat in Stoicis, ut cum excellentibus in eo genere Graecis compararetur. Tum, ut me Cotta vidit, Peroportune, inquit, venis ; oritur enim mihi magna de re altercatio cum Velleio, cui pro tuo studio non est alienum te interesse.

[15] C'est ce que j'ai souvent remarqué d'autres fois et surtout quand on eut un débat sérieux et emporté sur les dieux immortels, chez mon ami Caius Cotta. En effet, comme pendant les fêtes Latines j'étais venu chez lui à sa demande et sur ses instances, je l'ai trouvé assis dans son salon discutant avec le sénateur Caius Velleius, à qui les Épicuriens d'alors conféraient la primauté sur tous nos concitoyens. Était également présent Quintus Lucilius Balbus, qui avait tellement progressé auprès des Stoïciens qu'on le mettait au même niveau que les Grecs qui excellaient dans ce domaine. Alors, comme Cotta m'aperçut :

« — Tu tombes bien, dit-il, j'ai commencé un débat avec Velleius sur un grand sujet, auquel il n'est pas hors de propos que tu t'intéresses pour ton plaisir.

 

Pars VII

[XVI] Atque mihi quoque videor, inquam, venisse, ut dicis, oportune. Tres enim trium disciplinarum principes convenistis. M. autem Piso si adesset, nullius philosophiae earum quidem, quae in honore sunt, vacaret locus. Tum Cotta : Si, inquit, liber Antiochi nostri, qui ab eo nuper ad hunc Balbum missus est, vera loquitur, nihil est, quod Pisonem, familiarem tuum, desideres ; Antiocho enim Stoici cum Peripateticis re concinere videntur, verbis discrepare ; quo de libro, Balbe, velim scire quid sentias. Egone ? inquit ille. Miror Antiochum, hominem in primis acutum, non vidisse interesse plurimum inter Stoicos, qui honesta a commodis non nomine, sed genere toto diiungerent, et Peripateticos, qui honesta commiscerent cum commodis, ut ea inter se magnitudine et quasi gradibus, non genere differrent. Haec enim est non verborum parva, sed rerum permagna dissensio.

[16] — Hé bien, dis-je, à moi aussi il semble que je suis bien tombé, comme tu dis. Tu as en effet réuni les trois chefs de file des trois Écoles philosophiques. Et si Marcus Pison était ici, il ne manquerait aucun courant philosophique, de ceux bien sûr qui sont en honneur. »

Alors Cotta dit :

« — Si le livre de notre cher Antiochus, qu'il a naguère envoyé à Balbus ici présent, dit vrai, il n'est pas la peine de regretter l'absence de ton ami Pison ; car pour Antiochus les Stoïciens paraissent être d'accord sur le fond avec les Péripatéticiens, même s'ils diffèrent dans l'expression ; mais de ce livre, Balbus, je voudrais savoir ce que tu penses.

— Je m'étonne, dit-il, qu'Antiochus, avant tout un homme plein de finesse, n'ait pas vu que les Stoïciens, qui distinguent l'honnête du convenable non dans les mots mais dans l'espèce en entier, diffèrent grandement des Péripatéticiens, qui mêlent l'honnête avec le convenable, qu'ils rendent distincts entre eux par l'importance et comme par degrés et non par l'espèce. Et ce désaccord n'est pas une petite querelle de mots mais fort important sur le fond.

[XVII] Verum hoc alias ; nunc, quod coepimus, si videtur. Mihi vero, inquit Cotta, videtur. Sed ut hic, qui intervenit, [me intuens], ne ignoret, quae res agatur, de natura agebamus deorum, quae cum mihi videretur perobscura, ut semper videri solet, Epicuri ex Velleio sciscitabar sententiam. Quam ob rem, inquit, Vellei, nisi molestum est, repete, quae coeperas. Repetam vero, quamquam non mihi, sed tibi hic venit adiutor ; ambo enim, inquit adridens, ab eodem Philone nihil scire didicistis. Tum ego : Quid didicerimus, Cotta viderit, tu autem nolo existimes me adiutorem huic venisse, sed auditorem, et quidem aequum, libero iudicio, nulla eius modi adstrictum necessitate, ut mihi, velim nolim, sit certa quaedam tuenda sententia.

[17] Mais nous parlerons de cela une autre fois, maintenant parlons de ce que nous avions commencé, si tu veux.

— Pour ma part je le veux, dit Cotta. Mais, afin que notre ami qui se mêle à nous, [ajouta-t-il] en me regardant, n'ignore pas le sujet du débat, ici nous parlions de la nature des dieux et parce qu'elle me paraissait pleine d'ombres, ainsi qu'elle le semble toujours, je cherchais à m'informer auprès de Velleius de la pensée d'Epicure. C'est pourquoi, Velleius, si cela ne t'ennuie pas, recommence ton intervention.

— Je vais recommencer, quoiqu'un assistant soit venu non pour moi mais pour toi ; tous deux, en effet, dit-il en souriant, aviez appris du même Philon qu'on ne sait rien. »

Alors moi de dire : « Cotta avisera sur ce que nous aurions appris, mais je refuse que tu penses que je suis venu l'assister, je suis venu écouter, et certes sans parti pris, le jugement libre, astreint à aucun besoin de ce genre pour que soit défendu n'importe quel avis que je sois d'accord ou non. »

 

Pars VIII

[XVIII] Tum Velleius fidenter sane, ut solent isti, nihil tam verens, quam ne dubitare aliqua de re videretur, tamquam modo ex deorum concilio et ex Epicuri intermundiis descendisset, Audite, inquit, non futtilis commenticiasque sententias, non opificem aedificatoremque mundi, Platonis de Timaeo deum, nec anum fatidicam, Stoicorum pronoian, quam Latine licet providentiam dicere, neque vero mundum ipsum animo et sensibus praeditum, rotundum, ardentem, volubilem deum, portenta et miracula lion disserentium philosophorum, sed somniantium.

[18] Alors Velleius vraiment plein d'assurance, comme ces Épicuriens ont l'habitude d'être, ne craignant rien autant que de paraître hésitant sur quelque sujet, comme s'il revenait d'une réunion d'avec les dieux et descendait des mondes intermédiaires d'Épicure, dit :

« N'écoutez ni les opinions mensongères, ni l'artisan et démiurge du monde de Platon, dieu du Timée, ni la vieille sorcière prophétesse des Stoïciens, Pronoia que l'on peut nommer Providence en latin, ni non plus le monde lui-même pourvu d'une âme et de sens, rond, ardent, dieu au mouvement giratoire, présages et miracles non pas de philosophes en plein débat, mais de songe-creux.

[XIX] Quibus enim oculis [animi] intueri potuit vester Plato fabricam illam tanti operis, qua construi a deo atque aedificari mundum facit ? quae molitio, quae ferramenta, qui vectes, quae machinae, qui ministri tanti muneris fuerunt ? quem ad modum autem oboedire et parere voluntati architecti aer, ignis, aqua ; terra potuerunt ? unde vero ortae illae quinque formae, ex quibus reliqua formantur, apte cadentes ad animum afficiendum pariendosque sensus ? Longum est ad omnia, quae talia sunt, ut optata magis quam inventa videantur ;
[19] Mais avec quels yeux de l'esprit votre Platon a-t-il pu se représenter la forge d'un tel ouvrage par laquelle il imagine un monde construit et mis sur pied par un dieu ? quelle mise en œuvre, quels outils, quels leviers, quelle machinerie, quels ouvriers y avaient-ils pour une telle tâche ? et comment l'air, le feu, l'eau, la terre ont-ils pu suivre et obéir à la volonté de l'architecte ? et d'où provenaient ces cinq matières dont le tout est constitué et tombant comme il faut pour disposer un esprit et créer les sens ? Il faudrait discourir longuement sur toutes ces choses qui sont telles qu'elles paraissent plus souhaitées que découvertes.
[XX] sed illa palmaria, quod, qui non modo natum mundum introduxerit, sed etiam manu paene factum, is eum dixerit fore sempiternum. Hunc censes primis, ut dicitur, labris gustasse physiologiam, id est naturae rationem, qui quicquam, quod ortum sit, putet aeternum esse posse ? Quae est enim coagmentatio non dissolubilis ? aut quid est, cuius principium aliquod sit, nihil sit extremum ? Pronoea vero vestra, Lucili, si est eadem, eadem requiro, quae paulo ante, ministros, machinas, omnem totius operis dissignationem atque apparatum ; sin alia est, cur mortalem fecerit mundum, non, quem ad modum Platonicus deus, sempiternum.
[20] Mais la palme va à celles-ci : celui qui exposerait l'idée d'un monde non seulement créé, mais presque manufacturé, devrait dire qu'il sera éternel. L'imagine-t-on ayant goûté du bout des lèvres, comme l'on dit, à la physiologie, c'est à dire à la science de la nature, celui qui croit que peut être éternelle toute chose créée ? En effet, quel ensemble n'est pas destructible ou bien qu'est cet objet qui ait quelque chose pour commencement et rien pour fin ? Quant à Pronée, si elle est vôtre, Lucilius, je demande les mêmes choses que tout à l'heure au sujet des ouvriers, des machineries, de toute cette disposition pour un tel ouvrage et de son appareillage, mais si elle n'est pas vôtre, pourquoi aurait-elle fait un monde mortel et non éternel à la manière du dieu de Platon ?
 

Pars IX

[XXI] Ab utroque autem sciscitor, cur mundi aedificatores repente exstiterint, innumerabilia saecla dormierint ; non enim, si mundus nullus erat, saecla non erant. Saecla nunc dico non ea, quae dierum noctiumque numero annuis cursibus conficiuntur ; nam fateor ea sine mundi conversione effici non potuisse ; sed fuit quaedam ab infinito tempore aeternitas, quam nulla circumscriptio temporum metiebatur ; spatio tamen qualis ea fuerit, intellegi non potest, quod ne in cogitationem quidem cadit, ut fuerit tempus aliquod, nullum cum tempus esset.
[21] Mais je cherche à savoir auprès de l'un et l'autre pourquoi les constructeurs du monde soudainement apparaîtraient puis dormiraient pendant des siècles incalculables ; en effet, s'il n'y avait pas de monde, il n'y avait pas de siècles. Ici, je parle de siècles non comme ceux qui se font au nombre de jours et de nuits pendant le déroulement des années ; car là j'avoue qu'ils ne pouvaient exister sans le mouvement circulaire du monde ; mais il y eut une sorte d'éternité depuis un temps infini que nul décompte des temps ne mesurait, par son étendue pourtant on peut comprendre ce qu'elle serait, ce qui ne se conçoit même pas, de sorte qu'il y aurait un temps quand il n'y en avait aucun.
[XXII] Isto igitur tam inmenso spatio quaero, Balbe, cur Pronoea vestra cessaverit. Laboremne fugiebat ? At iste nec attingit deum nec erat ullus, cum omnes naturae numini divino, caelum, ignes, terrae, maria, parerent. Quid autem erat, quod concupisceret deus mundum signis et luminibus tamquam aedilis ornare ? Si, ut deus ipse melius habitaret, antea videlicet tempore infinito in tenebris tamquam in gurgustio habitaverat. Post autem varietatene eum delectari putamus, qua caelum et terras exornatas videmus ? Quae ista potest esse oblectatio deo ? quae si esset, non ea tam diu carere potuisset.
[22] Pendant une étendue de temps si immense, je demande, Balbus, pourquoi votre Pronée serait restée oisive. Fuyait-elle le travail ? Mais ce travail n'affecte pas un dieu et il n'y en avait aucun puisque tous les éléments naturels, le ciel, les étoiles, les continents, les mers obéissaient à la puissance divine. Alors qu'est-ce qui aurait poussé le dieu de parer le monde de constellations et de luminaires à la manière d'un édile ? Pour améliorer son habitat, si bien entendu auparavant il avait habité pendant un temps infini dans l'obscurité comme dans une cabane. Mais après : l'imaginons-nous se plaire dans cette diversité dont nous voyons qu'il a décoré le ciel et la terre ? Et cette diversité-là peut-elle être un divertissement pour un dieu ? Et même si elle l'était, n'aurait-elle pas pu lui faire défaut aussi longtemps ?
[XXIII] An haec, ut fere dicitis, hominum causa a deo constituta sunt ? Sapientiumne ? Propter paucos igitur tanta est facta rerum molitio. An stultorum ? At primum causa non fuit, cur de inprobis bene mereretur ; deinde quid est adsecutus ? cum omnes stulti sint sine dubio miserrimi, maxime quod stulti sunt ; miserius enim stultitia quid possumus dicere ? deinde quod ita multa stint incommoda in vita, ut ea sapientes commodorum conpensatione leniant, stulti nec vitare venientia possint nec ferre praesentia.
[23] Sont-ce ces choses, comme vous le dites presque, qui ont été établies par un dieu pour les hommes ? ou pour les sages ? Ainsi pour un petit nombre une telle mise en œuvre a été faite. Est-ce pour les sots ? Mais d'abord il n'y avait pas de raison pour bien traiter des gens qui ne le méritaient pas ; ensuite, quel est le résultat, puisque tous les sots sont sans nul doute très misérables, surtout parcequ'ils sont sots – que pouvons-nous prétendre de plus misérable que la sottise ? –, ensuite parce qu'il y a tant de nombreux inconvénients dans l'existence que les sages les adoucissent en les compensant avec des choses qui conviennent et que les sots ne peuvent éviter leur avenir ni supporter leur présent.
 

Pars X

Qui vero mundum ipsum animantem sapientemque esse dixerunt, nullo modo viderunt, animi natura intellegentis in quam figuram cadere posset ; de quo dicam equidem paulo post ;
Mais ceux qui ont dit que le monde lui-même est doué de vie et de raison n'ont nullement vu comment pourrait se représenter la nature d'un esprit qui comprend. De cela certes je dirai quelque mots bientôt,
[XXIV] nunc autem hactenus : admirabor eorum tarditatem, qui animantem inmortalem et eundem beatum rotundum esse velint, quod ea forma neget ullam esse pulchriorem Plato. At mihi vel cylindri vel quadrati vel coni vel pyramidis videtur esse formosior. Quae vero vita tribuitur isti rotundo deo ? Nempe ut ea celeritate contorqueatur, cui par nulla ne cogitari quidem possit ; in qua non video ubinam mens constans et vita beata possit insistere. Quodque in nostro corpore si minima ex parte sic afficiatur, molestum sit, cur hoc idem non habeatur molestum in deo ? Terra enim profecto, quoniam mundi pars est, pars est etiam dei. Atqui terrae maxumas regiones inhabitabilis atque incultas videmus, quod pars earum adpulsu solis exarserit, pars obriguerit nive pruinaque longinquo solis abscessu ; quae, si mundus est deus, quoniam mundi partes sunt, dei membra partim ardentia, partim refrigerata dicenda sunt.
[24] mais maintenant en voilà assez. Je m'étonnerai de l'obstination de ceux qui le voudraient vivant sans être concerné par la mort et celui-là même bienheureux et rond parce que Platon ne nierait pas qu'il n'y ait pas plus belle figure ; quant à moi celle d'un cylindre, d'un carré, d'un cône ou d'une pyramide me semble plus belle. Mais quelle existence attribuera-t-on à ce dieu tout rond ? N'est-ce pas pour qu'il se contorsionne en une vitesse à laquelle on ne pourrait pas même imaginer rien de semblable ; mais en celle-ci je ne vois pas où un esprit inaltérable et une vie heureuse pourraient s'y attacher. Et si par cette moindre partie on donne à entendre ce qui est ennuyeux dans notre corps, pourquoi cela aussi ne serait pas pénible en un dieu ? Car la terre assurément, puisqu'elle est une partie du monde, elle est aussi une partie du dieu ; hé bien, nous voyons de très grandes régions de la terre inhabitables et non mises en culture parce que pour une part celles-ci auront été brûlées par l'approche du soleil, pour une autre elles auront été endurcies par la neige et la gelée par la longue retraite du soleil ; et celles-ci, si le monde est un dieu et puisque elles sont des parties du monde, elles doivent entraîner que les éléments du dieu d'une part sont brûlants d'autres parts sont glacés.
[XXV] Atque haec quidem vestra, Lucili. Qualia vero vetera sint, ab ultimo repetam superiorum. Thales enim Milesius, qui primus de talibus rebus quaesivit, aquam dixit esse initium rerum, deum autem eam mentem, quae ex aqua cuncta fingeret. Si di possunt esse sine sensu et mente, cur aquae mentem, menti autem cur aquam adiunxit, si ipsa mens constare potest vacans corpore ? Anaximandri autem opinio est nativos esse deos longis intervallis orientis occidentisque, eosque innumerabilis esse mundos. Sed nos deum nisi sempiternum intellegere qui possumus ?
[25] Et certes voilà votre opinion, Lucilius ; mais lesquels [...] il en est, je le chercherai depuis le plus lointain de nos prédecesseurs. Thalès de Milet, qui le premier s'intéressa à de tels sujets, a dit que l'eau était le début des choses et que dieu était cette pensée qui aurait tout façonné à partir de l'eau : si les dieux peuvent être insensibles à cette pensée, pourquoi l'a-t-il adjointe à de l'eau si elle-même peut exister sans corps ? L'avis d'Anaximandre est que les dieux sont des êtres qui naissent dans de longs intervalles de naissance et de déclin et qu'ils sont des mondes innombrables. Mais nous comment pourrions-nous comprendre un dieu s'il n'est éternel ?
[XXVI] Post Anaximenes aera deum statuit, eumque gigni esseque inmensum et infinitum et semper in motu ; quasi aut aer sine ulla forma deus esse possit, cum praesertim deum non modo aliqua, sed pulcherrima specie deceat esse, aut non omne, quod ortum sit, mortalitas consequatur.
[26] Puis Anaximène décida que dieu était air, qu'il fut engendré qu'il était immense et sans fin et toujours en mouvement : comme si l'air qui n'a aucune consistance pourrait être un dieu, alors qu'avant tout il conviendrait que dieu non seulement ait un aspect mais que cet aspect soit le plus beau, ou que la mort ne touche pas le Tout puisqu'il est né.
 

Commentaires

De nombreuses personnes sont à l'origine de la traduction du premier livre du De natura deorum. Citons, de manière non exhaustive : Anaxagore, Bracarius, Caligula, Denis Liégeois, Iulius, Métrodore, Pierre Salat et Ugo Bratelli.

Paragraphe 1

À la lecture de ce premier paragraphe, on comprend bien pourquoi la question de la nature des dieux ne put rester un sujet philosophique, puisque trop vaste et trop incertain, pour devenir un dogme avec Bible à l'appui. Là, au moins, il n'y a plus à explorare ni à explicare mais à accepter avec « foi » l'existence de dieu et sa parole sacrée sans se perdre dans de fumeuses réflexions, puisqu'il est clair que le sujet est improbable sans une adsensio, un assentiment coercitif et définitif. N'est-ce pas le doute socratique mis en avant ? Depuis Socrate, il n'est plus possible d'être d'accord sur n'importe quoi dès lors que c'est incertain.

Paragraphe 20

Il y a débat sur la traduction des « mêmes choses ». En effet, Caligula voit en eadem un complément d'objet accusatif neutre pluriel, et non l'attribut de Pronoia. Il diverge sur ce point d'Anaxagore et de Daimonax.

Si eadem est, sin alia est est alors traduit par Caligula en si vestra est sin alia est. Il attend d'être convaincu par le balancement logique du premier couple : soit la Providence est celle des stoïciens et on pose les mêmes questions qu'au démiurge de Platon puisque la Providence des stoïciens, comme le démiurge, sont créateurs du monde, soit la Providence n'est pas celle des stoïciens et on se demande pourquoi elle aurait fait un monde mortel, ce qui fait une providence un peu mesquine. Cela semble plus clair que de dire soit elle est identique au démiurge et on pose les questions posées aux Platoniciens, soit elle est différente du dieu de Platon et on demande pourquoi elle aurait construit un monde différent.

À cela, Anaxagore lui rétorque qu'il voyait justement un « si au contraire » pour relever le balancement ! En quelque sorte, soit Pronoia est eadem, soit elle est au contraire alia. De toute façon, ce qui pourrait à la rigueur s'opposer à vestra, ce serait un aliena, et pas un alia. D'où il semble bien que ce soit eadem qu'il faille opposer à alia.

Ce serait un joli coup des épicuriens pour enfoncer leurs adversaires stoïciens. Il ne faut pas prendre eadem au pied de la lettre : Velleius sait bien que Voluntati architecti et Pronoia ne sont pas eadem. Il enfonce juste le clou, c'est tout, en réglant d'une même pierre le cas de Platon et des stoïciens !

 

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