De natura deorum – Liber I (XI à XX)

Document PDF à télécharger Ugo Bratelli, participant actif aux forums de langues anciennes, est l'auteur de la traduction du troisième livre du De natura deorum, traduction française qui est d'ailleurs la première depuis plus d'un demi-siècle !
Le troisième livre du De natura deorum est téléchargeable dans une version PDF PDF pour en faciliter la consultation et l'impression.
 

Pars XI

Inde Anaxagoras, qui accepit ab Anaximene disciplinam, primus omnium rerum discriptionem et modum mentis infinitae vi ac ratione dissignari et confici voluit ; in quo non vidit neque motum sensui iunctum et continentem in infinito ullum esse posse neque sensum omnino, quo non ipsa natura pulsa sentiret. Deinde si mentem istam quasi animal aliquod, voluit esse, erit aliquid interius, ex quo illud animal nominetur ; quid autem interius mente ? cingatur igitur corpore externo.
De là Anaxagore, qui reçut sa théorie d'Anaxamène, voulut le premier de force et par la raison mettre en ordre et faire la description de toutes les choses et mesurer un esprit infini. Dans lequel il ne vit pas qu'il pouvait être ni un mouvement joint à un sentiment et continent à l'infini ni tout à fait un sentiment duquel la nature elle même ne se sentirait pas mise en branle. Puis il voulut que cette pensée soit comme une chose animée, il y aura quelque chose de plus intime d'où cet animé recevrait son nom ; or quoi de plus intime qu'une pensée : elle serait donc enfermée dans un corps extérieur.
[XXVII] Quod quoniam non placet, aperta simplexque mens nulla re adiuncta, qua sentire possit, fugere intellegentiae nostrae vim et notionem videtur. Crotoniates autem Alcmaeo, qui soli et lunae reliquisque sideribus animoque praeterea divinitatem dedit, non sensit sese mortalibus rebus inmortalitatem dare. Nam Pythagoras, qui censuit animum esse per naturam rerum omnem intentum et commeantem, ex quo nostri animi carperentur, non vidit distractione humanorum animorum discerpi et lacerari deum et, cum miseri animi essent, quod plerisque contingeret, tum dei partem esse miseram ; quod fieri non potest.
[27] Puisque ça ne plaît pas, une pensée évidente et simple conjointe à rien et qui puisse ressentir, semble échapper à la finesse et à la connaissance de notre compréhension. Alcméon de Crotone, qui donna de la divinité au soleil, à la lune, à toutes les autres étoiles et aussi à l'âme, n'a pas pensé donner de l'immortalité aux choses mortelles. Pythagore pourtant, qui jugea qu'une âme s'étendait et parcourait toute la Nature et que nos propres âmes y puisaient, n'a pas vu qu'elle est mise en morceaux par la diversité des âmes humaines et que dieu était découpé et puisque nos âmes sont misérables, ce qui échoit à la plupart, alors une part de dieu est misérable, ce qui ne se peut.
[XXVIII] Cur autem quicquam ignoraret animus hominis, si esset deus ? quo modo porro deus iste, si nihil esset nisi animus, aut infixus aut infusus esset in mundo ? Tum Xenophanes, qui mente adiuncta omne praeterea, quod esset infinitum, deum voluit esse, de ipsa mente item reprehenditur, ut ceteri, de infinitate autem vehementius, in qua nihil neque sentiens neque coniunctum potest esse. Nam Parmenides quidem commenticium quiddam coronae simile efficit – stephanen appellat – continente ardore lucis orbem, qui cingat caelum, quem appellat deum ; in quo neque figuram divinam neque sensum quisquam suspicari potest ; multaque eiusdem modi monstra, quippe qui bellum, qui discordiam, qui cupiditatem ceteraque generis eiusdem ad deum revocet, quae vel morbo vel somno vel oblivione vel vetustate delentur ; eademque de sideribus, quae reprehensa in alio iam in hoc omittantur.
[28] Pourquoi l'âme humaine ignorerait-elle quelque chose, si elle était dieu ? Mais comment ce dieu, s'il n'était rien d'autre qu'une âme, serait-il ou attaché ou répandu sur le monde ? Alors Xénophane, qui après y avoir joint la pensée, voulut en outre que le Tout, en ce qu'il serait infini, fût dieu, sur cette pensée elle-même il fut pareillement critiqué, comme les autres, mais plus fortement sur l'infini, auquel rien ne peut être ni sensible ni conjoint. Parménide certes imagina quelque chose : il fit semblable à une couronne – qu'il appelle stéphane – embrassant un cercle de feux de lumière, qui entoure le ciel, qu'il appelle dieu ; dans lequel nul ne peut soupçonner une figure divine ni un sentiment. Et beaucoup des monstruosités de celui-ci, puisqu'il rapporte à dieu la guerre, la discorde, la cupidité et autres choses du même genre, s'effacent par la maladie, par le sommeil, par l'oubli ou par l'ancienneté ; et de semblables choses au sujet des astres, qui sont blâmées chez un autre et maintenant s'oublient chez lui.
 

Pars XII

[XXIX] Empedocles autem multa alia peccans in deorum opinione turpissume labitur. Quattuor enim naturas, ex quibus omnia constare censet, divinas esse vult ; quas et nasci et extingui perspicuum est et sensu omni carere. Nec vero Protagoras, qui sese negat omnino de deis habere quod liqueat, sint, non sint qualesve sint, quicquam videtur de natura deorum suspicari. Quid ? Democritus, qui tum imagines earumque circumitus in deorurn numero refert, tum illam naturam, quae imagines fundat ac mittat, tum scientiam intellegentiamque nostram, nonne in maximo errore versatur ? cum idem omnino, quia nihil semper suo statu maneat, neget esse quicquam sempiternum, nonne deum omnino ita tollit, ut nullam opinionem eius reliquam faciat ? Quid ? aer, quo Diogenes Apolloniates utitur deo, quem sensum habere potest aut quam formam dei ?
[29] Or Empédocle, qui erre sur pas mal d'autres choses, se plante au sujet de ce que l'on doit penser des dieux. En effet, il veut que quatre natures soient divines dont il suppose que toute chose est constituée ; mais il est évident que celles-ci naissent et s'éteignent et manquent de tout sens. Et Protagoras, qui nie avoir une idée complète des dieux qui soit clair, sur leur existence ou non, sur leur qualité, semble ne rien supposer sur la nature des dieux. Et pour Démocrite, lui qui ramène d'une part les images et leurs courses au nombre des dieux, d'autre part que cette nature, puisqu'elle nous diffuse et envoie ces images, serait notre réflexion et notre compréhension, ne s'entraîne-t-il pas dans une profonde erreur ? Comme le même, puisque rien ne demeurerait toujours dans son état, refuse tout à fait qu'il y ait quelque chose d'éternel, ne détruit-il pas tout à fait dieu, en annihilant tout ce qui reste d'idée de lui ? Et cet air, que Diogène d'Apollonie prend pour un dieu, quel sens peut-il avoir ou quelle forme d'un dieu ?
[XXX] Iam de Platonis inconstantia longum est dicere, qui in Timaeo patrem huius mundi nominari neget posse, in Legum autem libris, quid sit omnino deus, anquiri oportere non censeat. Quod vero sine corpore ullo deum vult esse, ut Graeci dicunt, asomaton, id quale esse possit, intellegi non potest ; careat enim sensu necesse est, careat etiam prudentia, careat voluptate ; quae omnia una cum deorum notione comprehendimus. Idem et in Timaeo dicit et in Legibus et mundum deum esse et caelum et astra et terram et animos et eos, quos maiorum institutis accepimus ; quae et per se sunt falsa perspicue et inter se vehementer repugnantia.
[30] De l'inconséquence de Platon il y a pas mal à dire, puisqu'il refuse dans le Timée qu'on puisse appeler dieu le père de ce monde, mais dans les livres des Lois, il ne pense pas qu'il soit utile de rechercher qui est vraiment dieu. Puisqu'il veut que dieu soit incorporel – asomate comme disent les Grecs –, ce qu'il pourrait être, on ne peut le savoir : il faut nécessairement qu'il soit sans sensation, et même sans connaissance, sans plaisir; qui sont toutes choses que nous associons à notre compréhension des dieux. Le même dit aussi dans le Timée et dans les Lois que le monde est dieu, le ciel, les astres, la terre, les âmes et ce que nous avons reçu de l'enseignement de nos anciens. Choses qui en soi sont évidemment fausses et entre elles violemment contradictoires.
[XXXI] Atque etiam Xenophon paucioribus verbis eadem fere peccat ; facit enim in iis, quae a Socrate dicta rettulit, Socratem disputantem formam dei quaeri non oportere, eundemque et solem et animum deum dicere, et modo unum, tum autem plures deos ; quae sunt isdem in erratis fere, quibus ea, quae de Platone diximus.
[31] Et Xénophon aussi fait presque les mêmes erreurs en moins de mots ; en effet, dans ce qu'il rapporte des paroles de Socrate, il montre un Socrate argumentant qu'il n'est pas nécessaire de rechercher la forme de dieu et le même dire que dieu est soleil et esprit et tantôt qu'il est unique et tantôt qu'il est multiple ; ce qui sont à peu près les mêmes errements que nous disons provenant de Platon.
 

Pars XIII

[XXXII] Atque etiam Antisthenes in eo libro, qui physicus inscribitur, popularis deos multos, naturalem unum esse dicens tollit vim et naturam deorum. Nec multo secus Speusippus Platonem avunculum subsequens et vim quandam dicens, qua omnia regantur, eamque animalem, evellere ex animis conatur cognitionem deorum.
[32] Et aussi Antisthène dans son livre, qui est intitulé Physique, disant que les dieux populaires sont nombreux mais qu'il n'y en a qu'un seul en réalité, il supprime la puissance et la nature des dieux. Et pas beaucoup autrement Speusippe, succédant à son oncle Platon et parlant d'une sorte de puissance par laquelle tout serait régenté et qui serait animée, s'est efforcé de chasser des âmes la connaissance des dieux.
[XXXIII] Aristotelesque in tertio de philosophia libro multa turbat a magistro suo Platone non dissentiens ; modo enim menti tribuit omnem divinitatem, modo mundum ipsum deum dicit esse, modo alium quendam praeficit mundo eique eas partis tribuit, ut replicatione quadam mundi motum regat atque tueatur, tum caeli ardorem deum dicit esse non intellegens caelum mundi esse partem, quem alio loco ipse designarit deum. Quo modo autem caeli divinus ille sensus in celeritate tanta conservari potest ? ubi deinde illi tot di, si numeramus etiam caelum deum ? cum autem sine corpore idem vult esse deum, omni illum sensu privat, etiam prudentia. Quo porro modo deus moveri carens corpore aut quo modo semper se movens esse quietus et beatus potest ?
[33] Et Aristote, dans son troisième livre sur la philosophie, brouille beaucoup d'idées en montrant son désaccord avec son maître Platon ; tantôt en effet il attribue une complète divinité à la pensée, tantôt il prétend que le monde est un dieu, parfois il met à la tête du monde une autre sorte de dieu et lui donne ce rôle de diriger le mouvement du monde par une sorte de dédoublement et de le protéger, du coup il dit que l'ardeur du ciel est un dieu sans comprendre que le ciel est une partie du dieu qu'ailleurs lui-même aura désigné comme dieu, or comment ce sens divin du ciel pourrait-il être gardé en une telle rapidité ? Ensuite, où vivent tous ces dieux, si nous comptons aussi le ciel parmi les dieux ? Mais puisqu'il veut aussi que dieu soit incorporel, il le prive de sens et même de prudence, et comment le monde se meut-il sans corps ou bien comment toujours en mouvement pourrait-il être tranquille et heureux ?
[XXXIV] Nec vero eius condiscipulus Xenocrates in hoc genere prudentior, cuius in libris, qui sunt de natura deorum, nulla species divina describitur ; deos enim octo esse dicit, quinque eos, qui in stellis vagis nominantur, unum, qui ex omnibus sideribus, quae infixa caelo sunt, ex dispersis quasi membris simplex sit putandus deus, septimum solem adiungit octavamque lunam ; qui quo sensu beati esse possint, intellegi non potest. Ex eadem Platonis schola Ponticus Heraclides puerilibus fabulis refersit libros et modo mundum, tum mentem divinam esse putat, errantibus etiam stellis divinitatem tribuit sensuque deum privat et eius formam mutabilem esse vult eodemque in libro rursus terram et caelum refert in deos.
[34] Quant à son condisciple, Xénocrate, dans le genre, ne s'est pas montré plus sage, lui dans les livres duquel, qui portent sur la nature des dieux, aucune caractéristique divine n'est décrite ; il dit en effet qu'il y a huit dieux, cinq qui prennent leur nom parmi les étoiles vagabondes, un qui de tous les astres qui ne sont pas fixées dans la voûte céleste, devrait être pensé comme un dieu isolé comme issu de membres épars ; il ajoute le soleil en septième et la lune en huitième ; on ne peut comprendre par quelle faculté de percevoir ils pourraient être heureux. Issu de la même École de Platon, Héraclide du Pont a rempli des livres de fables infantiles, et cependant il pense que tantôt le monde, tantôt l'esprit est divin, attribue aussi la divinité aux étoiles errantes, prive le dieu de faculté de percevoir et veut que sa forme soit variable ; et dans le même ouvrage il compte de nouveau terre et ciel parmi les dieux.
[XXXV] Nec vero Theophrasti inconstantia ferenda est ; modo enim menti divinum tribuit principatum, modo caelo, tum autem signis sideribusque caelestibus. Nec audiendus eius auditor Strato, is qui physicus appellatur, qui omnem vim divinam in natura sitam esse censet, quae causas gignendi, augendi, minuendi habeat, sed careat omni sensu et figura.
[35] Quant à Théophraste, son inconstance ne mérite pas d'être rapportée. Il attribue la prééminence divine tantôt à l'esprit, tantôt au ciel, tantôt aux constellations et aux astres célestes. Son auditeur Straton que l'on ne devrait pas écouter, celui qu'on appelle le physicien, est d'avis que toute la puissance divine réside dans la nature qui détiendrait les clés de la naissance, de la croissance et de la dégénérescence, mais serait privée de tout, et de faculté de percevoir et de forme.
 

Pars XIV

[XXXVI] Zeno autem, ut iam ad vestros, Balbe, veniam, naturalem legem divinam esse censet, eamque vim obtinere recta imperantem prohibentemque contraria. Quam legem quo modo efficiat animantem, intellegere non possumus ; deum autem animantem certe volumus esse. Atque hic idem alio loco aethera deum dicit, si intellegi potest nihil sentiens deus, qui numquam nobis occurrit neque in precibus neque in optatis neque in votis ; aliis autem libris rationem quandam per omnem naturam rerum pertinentem vi divina esse adfectam putat. Idem astris hoc idem tribuit, tum armis, mensibus annorumque mutationibus. Cum vero Hesiodi theogoniam [id est originem deorum] interpretatur, tollit omnino usitatas perceptasque cognitiones deorum ; neque enim Iovem neque Iunonem neque Vestam neque quemquam, qui ita appelletur, in deorum habet numero, sed rebus inanimis atque mutis per quandam significationem haec docet tributa nomina.
[36] Quant à Zénon, pour en venir enfin aux vôtres, Balbus, il est d'avis que la loi naturelle est divine et que cette même force, quand elle l'ordonne, fait triompher les choses normales et quand elle l'empêche, fait triompher leurs contraires. Mais nous ne pouvons pas comprendre comment cette loi s'animerait ; certes nous voulons que dieu soit animé et ce même Zénon ailleurs dit que l'éther est ce dieu : si l'on peut comprendre un dieu insensible qui jamais ne s'inquiète de nous ni dans nos prières, ni dans nos souhaits, ni dans nos vœux. Mais dans d'autres livres il estime qu'une sorte de raison régnant dans la nature du tout est pourvue d'une force divine. Le même l'attribue autant aux astres, qu'aux années, aux mois et aux saisons. Quand il explique la Théogonie d'Hésiode, c'est à dire l'origine des dieux, il supprime complètement les notions des dieux usuelles et apprises ; et ne compte pas parmi les dieux Jupiter, Junon, Vesta ni aucun de ceux qui sont appelés ainsi, mais enseigne que ces noms furent attribués pour une certaine signification à des choses sans âme et muettes.
[XXXVII] Cuius discipuli Aristonis non minus magno in errore sententia est, qui neque formam dei intellegi posse censeat neque in deis sensum esse dicat dubitetque omnino, deus animans necne sit. Cleanthes autem, qui Zenonem audivit una cum eo, quem proxime nominavi, tum ipsum mundum deum dicit esse, tum totius naturae menti atque animo tribuit hoc nomen, tum ultimum et altissimum atque undique circumfusum et extremum omnia cingentem atque conplexum ardorem, qui aether nominetur, certissimum deum iudicat ; idemque quasi delirans in iis libris, quos scripsit contra voluptatem, tum fingit formam quandam et speciem deorum, tum divinitatem omnem tribuit astris, tum nihil ratione censet esse divinius. Ita fit, ut deus ille, quem mente noscimus atque in animi notione tamquam in vestigio volumus reponere, nusquam prorsus appareat.
[37] La position de son élève Ariston n'est pas moins erronée, lui qui est d'avis qu'on ne peut pas saisir la figure d'un dieu et dit que les dieux n'ont pas de sentiment et il se demande réellement si dieu est doué d'âme ou non. Mais Cléanthe, qui suivit avec lui les leçons de Zénon, celui dont j'ai parlé tout à l'heure, tantôt dit que le monde lui-même est dieu, tantôt attribue ce nom à l'esprit et à l'âme de toute la nature, tantôt il pense que le dieu le plus sûr, qui s'appellerait Éther, est un cercle de chaleur ceinturant toutes choses, ultime, très haut, enveloppé de partout et extrême, et le même, comme s'il délirait, dans les livres qu'il écrivit contre le plaisir tantôt, imagine une sorte de figure et d'aspect des dieux, tantôt il attribue aux astres toute la divinité, tantôt il est d'avis qu'il n'y a rien de plus divin que la raison. Aussi arrive-t-il que le dieu, auquel nous refléchissons et que nous voulons déposer dans la notion de l'âme comme en une empreinte, n'apparaît plus nulle part.
 

Pars XV

[XXXVIII] At Persaeus, eiusdem Zenonis auditor, eos dicit esse habitos deos, a quibus magna utilitas ad vitae cultum esset inventa, ipsasque res utiles et salutares deorum esse vocabulis nuncupatas, ut ne hoc quidem diceret, illa inventa esse deorum, sed ipsa divina. Quo quid absurdius, quam aut res sordidas atque deformis deorum honore adficere aut homines iam morte deletos reponere in deos, quorum omnis cultus esset futurus in luctu ?
[38] Mais Persée, élève du même Zénon, pense que sont tenus pour dieux, ceux par qui a été découverte toute grande chose utile à la civilisation et même les choses utiles et salutaires ont été nommées du nom de dieux, de sorte que l'on ne dise pas même ce qui fut trouvé faire partie des dieux mais divin ; et quoi de plus stupide que de donner la grandeur des dieux à de sales et laides réalisations ou de mettre au nombre des dieux des êtres humains anéantis par la mort dont tout le culte se serait fait dans le deuil ?
[XXXIX] Iam vero Chrysippus, qui Stoicorum somniorum vaferrumus habetur interpres, magnam turbam congregat ignotorum deorum, atque ita ignotorum, ut eos ne coniectura quidem informare possimus, cum mens nostra quidvis videatur cogitatione posse depingere ; ait enim vim divinam in ratione esse positam et in universae naturae animo atque mente, ipsumque mundum deum dicit esse et eius animi fusionem universam, tum eius ipsius principatum, qui in mente et ratione versetur, communemque rerum naturam universitatemque omnia continentem, tum fatalem vim et necessitatem rerum futurarum, ignem praeterea et eum, quem ante dixi, aethera, tum ea, quae natura fluerent atque manarent, ut et aquam et terram et aera, solem, lunam, sidera universitatemque rerum, qua omnia continerentur, atque etiam homines eos, qui inmortalitatem essent consectiti.
[39] Quant à Chrysippe, qui est tenu pour l'interprète le plus subtil des rêveries des Stoïciens, il rassemble la grande foule des dieux inconnus et de ces inconnus que nous ne pourrions décrire, même pas par conjecture, alors que notre esprit semble pouvoir représenter n'importe quoi par réflexion. En effet, il dit que la force divine est placée dans le raisonnement et aussi dans l'âme et l'esprit de la nature toute entière, il dit que le monde lui-même est dieu et universelle la diffusion de son souffle, ou bien la primauté de lui-même, qui se trouve dans l'esprit et la raison, et la commune nature universelle et qui contient tout, ou bien l'ombre du destin et la nécessité des choses à venir, le feu aussi et cet Éther dont j'ai déjà parlé ou ces choses qui coulent et diffusent par nature, comme l'eau, la terre, l'air, le soleil, la lune, les étoiles et l'univers où tout réside et même des hommes qui auraient obtenu l'immortalité.
[XL] Idemque disputat aethera esse eum, quem homines Iovem appellarent, quique aer per maria manaret, eum esse Neptunum, terramque eam esse, quae Ceres diceretur, similique ratione persequitur vocabula reliquorum deorum. Idemque etiam legis perpetuae et aeternae vim, quae quasi dux vitae et magistra officiorum sit, Iovem dicit esse eandemque fatalem necessitatem appellat, sempiternam rerum futurarum veritatem ; quorum nihil tale est, ut in eo vis divina inesse videatur.
[40] Il soutient que le dieu que les hommes appellent Jupiter est l'Éther, et que Neptune est l'air qui se répand sur la mer, et que la déesse appelée Cérès est la terre ; suivant une méthode similaire, il analyse les noms des autres dieux. En outre, il affirme que la force de la loi perpétuelle et éternelle, qui se veut un guide de la vie et un maître des devoirs, c'est Jupiter, et il l'appelle le destin fatal, éternelle réalité du futur. Rien de tout ceci ne semble être le siège de la puissance divine. Voilà le contenu du premier livre Sur la nature divine.
[XLI] Et haec quidem in primo libro de natura deorum ; in secundo autem volt Orphei, Musaei, Hesiodi Homerique fabellas accommodare ad ea, quae ipse primo libro de deis inmortalibus dixerat, ut etiam veterrimi poetae, qui haec ne suspicati quidem sint, Stoici fuisse videantur. Quem Diogenes Babylonius consequens in eo libro, qui inscribitur de Minerva, partum Iovis ortumque virginis ad physiologiam traducens diiungit a fabula.
[41] Dans le second livre, il cherche ensuite à concilier les mythes racontés par Orphée, Musée, Hésiode et Homère, à l'aide d'affirmations avancées dans le premier livre, de manière à faire apparaître Stoïciens y compris les poètes les plus anciens, qui n'avaient même pas imaginé ces doctrines. Ainsi, Diogène de Babylone, dans son livre intitulé Minerve, démythifie, en ramenant ces divinités à un plan physique, la paternité de Jupiter et la naissance de la vierge.
 

Pars XVI

[XLII] Exposui fere non philosophorum iudicia, sed delirantium somnia. Nec enim multo absurdiora sunt ea, quae poetarum vocibus fusa ipsa suavitate nocuerunt, qui et ira inflammatos et libidine furentis induxerunt deos feceruntque, ut eorum bella, proelia, pugnas, vulnera videremus, odia praeterea, discidia, discordias, ortus, interitus, querellas, lamentationes, effusas in omni intemperantia libidines, adulteria, vincula, cum humano genere concubitus mortalisque ex inmortali procreatos.
[42] J'ai exposé la plupart du temps, non des opinions philosophiques, mais des rêves de fous. Et, en réalité, pas beaucoup plus absurdes sont les récits répandus par les voix des poètes, nuisibles justement à cause de leur charme ; ils imaginèrent les dieux enflammés par la colère et furieux de désir, et ils représentèrent, de manière à ce que nous les voyions bien, leurs guerres, leurs batailles, leurs luttes, les blessures, également les haines, les inimitiés, les querelles, les naissances, les morts, les pleurs, les lamentations, les passions incontrôlées, les adultères, les captivités, les unions avec les mortels et les mortels nés d'immortels.
[XLIII] Cum poetarum autem errore coniungere licet portenta magorum Aegyptiorumque in eodem genere dementiam, tum etiam vulgi opiniones, quae in maxima inconstantia veritatis ignoratione versantur. Ea qui consideret quam inconsulte ac temere dicantur, venerari Epicurum et in eorum ipsorum numero, de quibus haec quaestio est, habere debeat. Solus enim vidit primum esse deos, quod in omnium animis eorum notionem impressisset ipsa natura. Quae est enim gens aut quod genus hominum, quod non habeat sine doctrina anticipationem quandam deorum ? quam appellat prolepsin Epicurus, id est anteceptam animo rei quandam informationem, sine qua nec intellegi quicquam nec quaeri nec disputari potest. Cuius rationis vim atque utilitatem ex illo caelesti Epicuri de regula et iudicio volumine accepimus.
[43] On peut associer aux erreurs des poètes les prodiges des magiciens et la semblable folie des Égyptiens, et aussi les croyances du peuple qui se trouve dans la plus grande incohérence à cause de l'ignorance de la vérité. Celui qui considérerait que toutes ces affirmations ont été avancées sans réflexion et à la légère devrait vénérer Épicure et le ranger parmi ces dieux mêmes, sur lesquels porte cette question. Lui seulement se rendit compte que la nature a imprimé le concept de divinité dans les esprits de tous. Quel peuple, quelle race d'hommes ne possède pas, sans qu'elle lui ait été enseignée, une notion innée des dieux, qu'Épicure appelle prolepsis, c'est-à-dire une représentation mentale a priori de la chose, sans laquelle rien ne peut être compris, recherché, discuté. La force et l'utilité de cet argument, nous les avons apprises du livre divin d'Épicure Sur la règle et sur le jugement.
 

Pars XVII

[XLIV] Quod igitur fundamentum huius quaestionis est, id praeclare iactum videtis. Cum enim non instituto aliquo aut more aut lege sit opinio constituta maneatque ad unum omnium firma consensio, intellegi necesse est esse deos, quoniam insitas eorum vel potius innatas cognitiones habemus ; de quo autem omnium natura consentit, id verum esse necesse est ; esse igitur deos confitendum est. Quod quoniam fere constat inter omnis non philosophos solum, sed etiam indoctos, fateamur constare illud etiam, hanc nos habere sive anticipationem, ut ante dixi, sive praenotionem deorum – sunt enim rebus novis nova ponenda nomina, ut Epicurus ipse prolepsin appellavit, quam antea nemo eo verbo nominarat.
[44] Vous voyez donc que les bases de cette recherche ont été jetées magnifiquement. Puisque la croyance dans les dieux n'a pas été fixée par une norme, par un usage ou par une loi, et que persiste un consensus universel et absolument unanime, il faut en déduire que les dieux existent parce que nous en possédons une notion naturelle ou, mieux, innée ; ainsi une notion sur laquelle tout le monde s'accorde doit être nécessairement vraie ; il faut donc admettre que les dieux existent. Et puisque sur ce concept tous s'accordent, non seulement les philosophes mais aussi les ignorants, nous devons admettre aussi le fait que nous possédons une notion innée ou, comme je l'ai dit plus haut, une prénotion des dieux – il faut donner des dénominations nouvelles aux concepts nouveaux, comme Épicure qui appela la prénotion prolepsis que personne n'avait désignée précédemment sous ce terme.
[XLV] Hanc igitur habemus, ut deos beatos et inmortales putemus. Quae enim nobis natura informationem ipsorum deorum dedit, eadem insculpsit in mentibus, ut eos aeternos et beatos haberemus. Quod si ita est, vere exposita illa sententia est ab Epicuro, quod beatum aeternumque sit, id nec habere ipsum negotii quicquam nec exhibere alteri, itaque neque ira neque gratia teneri, quod, quae talia essent, imbecilla essent omnia. Si nihil aliud quaereremus, nisi ut deos pie coleremus et ut superstitione liberaremur, satis erat dictum ; nam et praestans deorum natura hominum pietate coleretur, cum et aeterna esset et beatissima – habet enim venerationem iustam, quicquid excellit –, et metus omnis a vi atque ira deorum pulsus esset ; intellegitur enim a beata inmortalique natura et iram et gratiam segregari ; quibus remotis nullos a superis impendere metus. Sed ad hanc confirmandam opinionem anquirit animus et formam et vitae actionem mentisque agitationem in deo.
[45] Nous possédons donc cette prénotion : les dieux sont heureux et immortels. En effet, la nature, qui nous a fourni la notion des dieux mêmes, a aussi gravé dans nos esprits l'opinion que les dieux sont immortels et heureux. Si les choses sont ainsi, la maxime prononcée par Épicure est vraie : ce qui est heureux et éternel ne peut avoir aucun souci ni en procurer aux autres, c'est pourquoi les dieux ne peuvent éprouver ni colère ni bienveillance, parce que de telles caractéristiques sont spécifiques de la faiblesse. Si nous n'avions pas d'autre but que de vénérer pieusement les dieux et d'être délivrés de la superstition, nous en aurions dit suffisamment ; la nature supérieure des dieux serait pieusement vénérée par les hommes parce qu'elle est éternelle et heureuse – tout ce qui est supérieur reçoit la juste vénération – et toute la crainte de la puissance et de la colère des dieux serait bannie, parce que l'on comprend que la colère et la bienveillance sont étrangères à une nature heureuse et immortelle. Une fois tout ceci éliminé, aucune crainte de la part des dieux nous menace. Mais, pour renforcer cette croyance, l'âme fait des recherches aussi sur la forme, sur la vie, sur l'activité et sur le mouvement de l'esprit dans la divinité.
 

Pars XVIII

[XLVI] Ac de forma quidem partim natura nos admonet, partim ratio docet. Nam a natura habemus omnes omnium gentium speciem nullam aliam nisi humanam deorum ; quae enim forma alia occurrit umquam aut vigilanti cuiquam aut dormienti ? Sed ne omnia revocentur ad primas notiones : ratio hoc idem ipsa declarat.
[46] Quant à leur forme, assurément, pour partie la nature nous en donne l'idée, pour partie le raisonnement nous en instruit. En effet, tous, dans toutes les espèces, nous n'avons aucune représenation sinon humaine des dieux ; quelle autre forme, de fait se montre-t-elle un jour à quiconque est éveillé ou dort ? Mais de peur que toutes ne reviennent pas vers les idées premières, la raison elle-même nous fait voir clairement la même chose.
[XLVII] Nam cum praestantissumam naturam, vel quia beata est vel quia sempiterna, convenire videatur eandem esse pulcherrimam, quae compositio membrorum, quae conformatio liniamentorum, quae figura, quae species humana potest esse pulchrior ? Vos quidem, Lucili, soletis – nam Cotta meus modo hoc, modo illud –, cum artificium effingitis fabricamque divinam, quam sint omnia in hominis figura non modo ad usum, verum etiam ad venustatem apta, describere.
[47] Car alors qu'il semble convenir qu'une nature excellente, parce qu'elle serait soit heureuse soit éternelle, est très belle, quelle composition des membres, quelle beauté des traits, quelle figure, quelle apparence peut être plus belle que l'humaine ? Vous, Lucilius, vous avez coutume – car mon cher Cotta est comme ci comme ça – quand vous imaginez décrire un artifice et une invention divine que tout serait à l'image de l'homme non seulement pour l'usage, mais même adaptée à sa beauté.
[XLVIII] Quodsi omnium animantium formam vincit hominis figura, deus autem animans est, ea figura profecto est, quae pulcherrima sit omnium ; quoniamque deos beatissimos esse constat, beatus autem esse sine virtute nemo potest nec virtus sine ratione constare nec ratio usquam inesse nisi in hominis figura, hominis esse specie deos confitendum est.
[48] Et si l'image de l'homme dépasse la beauté de tout ce qui est animé, dieu étant animé, cette image assurément est la plus belle de toutes. Et puisqu'il est clair que les dieux sont très heureux, personne ne peut être heureux sans vertu et la vertu ne peut exister sans la raison ni la raison s'implanter complètement sauf dans l'image de l'homme, il faut avouer que les dieux ont l'apparence des hommes.
[XLIX] Nec tamen ea species corpus est, sed quasi corpus, nec habet sanguinem, sed quasi sanguinem.
[49] Et pourtant, cette apparence n'est pas un corps, mais presque un corps, elle n'a pas de sang mais presque du sang.
 

Pars XIX

Haec quamquam et inventa sunt acutius et dicta subtilius ab Epicuro, quam ut quivis ea possit agnoscere, tamen fretus intellegentia vestra dissero brevius, quam causa desiderat. Epicurus autem, qui res occultas et penitus abditas non modo viderit animo, sed etiam sic tractet, ut manu, docet eam esse vim et naturam deorum, ut primum non sensu, sed mente cernatur ; nec soliditate quadam nec ad numerum, ut ea, quae ille propter firmitatem steremnia appellat, sed imaginibus similitudine et transitione perceptis, cum infinita simillumarum imaginum series ex innumerabilibus individuis existat et ad nos adfluat ; tum maximis voluptatibus in eas imagines mentem intentam infixamque nostram intellegentiam capere, quae sit et beata natura et aeterna.
Quoique cela fut découvert trop perspicacement et exprimé trop subtilement par Épicure, pour que quiconque puisse les comprendre, mais confiant en votre intelligence j'enchaîne mes raisons plus brièvement que la cause le désire. Épicure qui non seulement verrait avec les yeux de l'esprit les choses cachées et absolument secrètes mais aussi les toucherait comme de la main enseigne qu'il est de la puissance et de la nature des dieux d'être compris d'abord non par les sens mais par l'esprit, et non en une sorte de solidité ni en nombre, comme ce qu'il appelle steremnia à cause de la fermeté, mais au moyen d'images perçues par la similitude et la contagion, puisqu'il existe une série infinie d'images très ressemblantes tirées d'innombrables individus et qui affluent vers nous ; alors en de très grands plaisirs notre intelligence et notre esprit tendu et fixé sur ces images comprennent ce qu'est une nature heureuse et éternelle.
[L] Summa vero vis infinitatis et magna ac diligenti contemplatione dignissima est, in qua intellegi necesse est eam esse naturam, ut omnia omnibus paribus paria respondeant. Hanc isonomian appellat Epicurus, id est aequabilem tributionem. Ex hac igitur illud efficitur, si mortalium tanta multitudo sit, esse inmortalium non minorem, et si, quae interimant, innumerabilia sint, etiam ea, quae conservent, infinita esse debere. Et quaerere a nobis, Balbe, soletis, quae vita deorum sit, quaeque ab iis degatur aetas.
[50] La force suprême de l'infinité est fort digne d'une contemplation grande et diligente d'où il est nécessaire de comprendre que cette nature existe pour que tous les semblables répondent aux semblables. Épicure l'appelle isonomie, c'est-à-dire un partage égal. D'elle provient donc que s'il y a une telle foule de mortels, il n'y a pas moins d'immortels et, si les choses qui meurent sont innombrables, celles qui se conservent doivent aussi être infinies. Alors, Balbus, vous avez l'habitude de nous demander quelle est la vie des dieux et quelle existence ils mènent.
[LI] Ea videlicet, qua nihil beatius, nihil omnibus bonis affluentius cogitari potest. Nihil enim agit, nullis occupationibus est inplicatus, nulla opera molitur, sua sapientia et virtute gaudet, habet exploratum fore se semper cum in maximis, tum in aeternis voluptatibus.
[51] Il est évident que l'on ne peut rien penser davantage heureux et regorgeant de tous biens que cette existence. En effet, il n'a pas d'activité, n'est entortillé dans aucune occupation, n'est contraint à aucun effort, se réjouit de sa propre sagesse et sa vertu, a l'assurance de vivre toujours dans des voluptés tant immenses qu'éternelles.
 

Pars XX

[LII] Hunc deum rite beatum dixerimus, vestrum vero laboriosissimum. Sive enim ipse mundus deus est, quid potest esse minus quietam quam nullo puncto versari circum axem caeli admirabili celeritate ? nisi quietum autem nihil beatum est ; sive in ipso mundo deus inest aliquis, qui regat, qui gubernet, qui cursus astrorum, mutationes temporum, rerum vicissitudines ordinesque conservet, terras et maria contemplans hominum commoda vitasque tueatur, ne ille est implicatus molestis negotiis et operosis !
[52] Nous dirions à juste titre que ce dieu est heureux, tandis que le vôtre est à la peine la plus grande. Soit il est en effet le monde lui-même, que peut-il être moins une existence reposante que de tourner sans répit autour de l'axe du ciel avec une célérité prodigieuse ? Or aucun bonheur sans repos ; soit le dieu est quelque chose dans le monde même, qui dirigera, gouvernera, assurera la course des astres, les variations climatiques, les hasards et l'ordre des choses, veillant sur terres et mers il observera les profits et les existences des hommes : et celui-ci n'est pas impliqué dans des activités désagréables et pénibles !
[LIII] Nos autem beatam vitam in animi securitate et in omnium vacatione munerum ponimus. Docuit enim nos idem, qui cetera, natura effectum esse mundum, nihil opus fuisse fabrica, tamque eam rem esse facilem, quam vos effici negatis sine divina posse sollertia, ut innumerabilis natura mundos effectura sit, efficiat, effecerit. Quod quia quem ad modum natura efficere sine aliqua mente possit non videtis, ut tragici poetae, cum explicare argumenti exitum non potestis, confugitis ad deum ;
[53] Or nous supposons qu'une vie est heureuse par la sécurité de l'esprit et l'absence de toute charge. Il nous a enseigné aussi, entre autres, que le monde découle de la nature, qu'en aucun cas un effort de conception n'a été nécessaire, et que c'est chose si facile, ce que vous nierez avoir été produit sans une industrie divine, que la nature produira, produit et a produit d'innombrables mondes. Cela, parce que vous constatez, par exemple, que la nature ne peut l'effectuer sans un esprit, comme les poètes tragiques, lorsque vous ne pouvez développer la fin d'une argumentation, vous trouvez refuge auprès d'un dieu.
[LIV] cuius operam profecto non desideraretis, si inmensam et interminatam in omnis partis magnitudinem regionum videretis, in quam se iniciens animus et intendens ita late longeque peregrinatur, ut nullam tamen oram ultimi videat, in qua possit insistere. In hac igitur inmensitate latitudinum, longitudinum, altitudinum infinita vis innumerabilium volitat atomorum, quae interiecto inani cohaerescunt tamen inter se et aliae alias adprehendentes continuantur ; ex quo efficiuntur eae rerum formae et figurae, quas vos effici posse sine follibus et incudibus non putatis. Itaque inposuistis in cervicibus nostris sempiternum dominum, quem dies et noctes timeremus. Quis enim non timeat omnia providentem et cogitantem et animadvertentem et omnia ad se pertinere putantem curiosum et plenum negotii deum ?
[54] Assurément, vous ne réclameriez pas son labeur, si vous voyiez l'immense et sans bornes grandeur des domaines dans laquelle l'âme se jetant et s'étendant ainsi de long en large voyage, de sorte qu'elle ne voit cependant aucun rivage d'une extrémité. Donc, dans cette immensité de largeurs, de longueurs et de hauteurs, une infinie multitude d'atomes innombrables volètent, au milieu du vide, s'agglomèrent et se succèdent les uns aux autres sans discontinuer ; de là se produisent formes et figures des choses, que vous ne pensez pas pouvoir être réalisés sans soufflets et enclumes. C'est pourquoi vous faites peser sur nos têtes un maître éternel que nous devrions craindre jour et nuit. Qui en effet ne craindrait pas un dieu curieux et immergé dans nos affaires qui prévoit tout, pense à tout et remarque tout, pensant que tout le concerne ?
[LV] Hinc vobis extitit primum illa fatalis necessitas, quam heimarmenen dicitis, ut, quicquid accidat, id ex aeterna veritate causarumque continuatione fluxisse dicatis. Quanti autem haec philosophia aestimanda est, cui tamquam aniculis, et iis quidem indoctis, fato fieri videantur omnia ? Sequitur mantike vestra, quae Latine divinatio dicitur, qua tanta inbueremur superstitione, si vos audire vellemus, ut haruspices, augures, harioli, vates, coniectores nobis essent colendi. His terroribus ab Epicuro soluti et in libertatem vindicati nec metuimus eos, quos intellegimus nec sibi fingere ullam molestiam nec alteri quaerere, et pie sancteque colimus naturam excellentem atque praestantem. Sed elatus studio vereor ne longior fuerim. Erat autem difficile rem tantam tamque praeclaram inchoatam relinquere ; quamquam non tam dicendi ratio mihi habenda fuit quam audiendi.
[55] De là découle la nécessité du destin que vous appelez « heimarméne » : tout événement, d'après vous, aurait son origine dans la réalité éternelle, et par un enchaînement de causes. Mais cette philosophie ne doit apparaître valable qu'à ceux qui, à l'instar des petites vieilles, et ignorantes de surcroît, estiment que tous les événements sont déterminés par le destin. De là encore votre « mantiké », qu'on nomme divination en latin ; à cause d'elle, si nous voulions vous donner raison, nous serions tellement imbus de supersitition que nous devrions vénérer les haruspices, les augures, les astrologues, les devins, les interprètes des songes. Épicure nous a libérés et affranchis de ces peurs ; ainsi nous ne sommes plus amenés à craindre des dieux qui, nous le savons bien, n'imaginent de rien faire qui pourrait leur être pénible ni ne cherchent à faire de la peine aux autres ; et, dévoués et pieux, nous continuons à vénérer leur nature excellente et supérieure. Mais je crains de m'être laissé emporter par mon enthousiasme, et d'avoir été un peu prolixe. Il était de toute façon difficile de ne pas conduire à son terme une question aussi vaste et importante, quoique mon intention ait été d'écouter plutôt que de parler. »
[LVI]
[56]
 

Commentaires

Paragraphe 27

Anaxagore signale que l'idée est que contigit n'est pas le fruit du hasard, mais bien l'expression d'une détermination, au contraire de accidit en latin. Ainsi, le malheur apparaîtrait comme inhérent à la condition humaine. Rappelons que contingit signifie aussi « échoir en partage ».

Paragraphe 32

La correction de Pierre Salat a été retenue : une erreur de texte. Il n'existe en effet, à sa connaissance, aucun ouvrage scientifique ancien, même de vulgarisation, qui ait popularis dans son titre. En revanche, si l'on met une virgule après inscribitur et si l'on lit populares, ou même popularis, qui peut être un accusatif pluriel de thème en « -i » en le rattachant à deos multos, on obtient un sens intéressant qui oppose les dieux selon le peuple – populares – au dieu selon la nature des choses, la réalité – naturalem : « en disant que les dieux selon le peuple sont nombreux et qu'il est unique selon la réalité, il supprime – tollit – la puissance et la nature des dieux ».

Néanmoins, Caligula fait remarquer à juste titre que popularis peut aussi simplement signifier que le livre en question a du succès, est connu de beaucoup de monde ou fut écrit pour un large public. Ou même qu'il est populaire d'appeler cet ouvrage Physique. Le terme ne s'accorde alors pas aux dieux et la phrase signifie « en disant que les dieux nombreux ne sont qu'un par nature, il supprime la puissance et la nature des dieux ».

Paragraphe 43

Prolepsis est normalement l'image qui découle d'une série de sensations. Il semble que Cicéron en donne une autre interprétation, puisqu'il rapporte prolepsis aux notions innées.

Paragraphe 44

Innatas semble renvoyer à des idées implantées dans l'esprit humain par la nature après la naissance.

Paragraphe 51

Lire à ce sujet l'Éthique de Spinoza (V, 35) : natura dei infinita perfectione gaudet.

 

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