La concision du latin

Voici quelques dossiers thématiques sur des questions poétiques récurrentes.
 

L'idée que la langue latine est plus concise que le français provient des siècles de traduction qui étaient plus de la glose que de la traduction et aboutissaient à des traductions toujours plus longues que l'original. Il est pourtant possible de traduire la prose avec autant de rigueur que les vers, c'est-à-dire en prenant garde à ce que les phrases aient un poids et une densité identiques. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de contraintes rythmiques en prose qu'il faut tout se permettre...

Certains estiment que latin est plus concis et plus plein que le français en se fondant sur la traduction de poèmes vers à vers qui laisse souvent des abandons en français. Nous avons du mal à faire aussi bien en français qu'en latin !
Quelques abandons ne sont finalement pas pires que de nombreuses gloses et adjonctions. Et un vers dense aura toujours plus d'intérêt que deux vers dilués.

Certes le latin est concis par ses formes flexionnelles, par la force précise de ses mots et par le talent de ses auteurs les plus réputés. C'est une langue où l'on peut dire beaucoup en très peu de mots. Nous parlons bien entendu du latin des auteurs les plus attentifs à leur langue puisque le latin peut être aussi – voire plus ! – copieux en latin qu'en français chez certains auteurs, surtout chez la plupart des néo-latins ou des ecclésiastiques. N'oublions en effet pas que nous nous fondons sur les plus fameux auteurs latins, lesquels auteurs devraient par exemple être comparés à Rabelais ou Racine dont la langue est très elliptique et concise.

 

La poésie joue sur beaucoup de tableaux ; parfois il faut diluer, parfois il faut serrer mais il faut le faire sans jamais trahir les Muses, c'est-à-dire sans laisser de côté l'art du poète à traduire. Le fait est que le travail de traduction fait avec respect du texte conduit à de tels retours vers le texte que nous ne sommes jamais réellement satisfaits de la traduction que nous produisons. Nous ne terminons jamais de traduire un texte. Il y a toujours quelque chose à rajouter ou à affiner.
Un lecteur français doit pourtant se trouver aussi charmé qu'un lecteur latin, celui-ci avec le texte original, celui-là en lisant la traduction.

Une traduction en prose ne doit pas forcément être plus longue que l'original. Toutefois, il suffit de compter les pages d'un texte en latin et de sa traduction en français pour s'apercevoir que le nombre de caractères utilisés en français est bien plus élevé que celui du texte latin dans la plus grande partie des éditions dont certaines optent même pour des caractères d'impression plus petit dans la traduction que ceux utilisés pour le texte latin afin que le texte français reste le plus possible en face du texte latin. C'est dire la densité physique du latin par rapport à celle du français.
Et quand l'auteur latin, en plus de sa langue naturellement plus dense que le français, écrit en style concis, nous atteignons des records !
Néanmoins, la langue latine n'est en fin de compte ni plus ni moins concise qu'une autre. Tout dépend de la façon dont nous nous en servons. Question concision, il y a un monde entre Cicéron et Tacite, par exemple.

 

Lorsque le poète latin serre, le traducteur serre ; lorsqu'il dilue, le traducteur dilue. Il serait fâcheux d'opérer différemment.
C'est parfois même le contraire. Les alexandrins sont parfois trop courts pour traduire tous les mots des sénaires iambiques de Phèdre. La difficulté avec l'hexamètre est qu'il faudrait normalement un vers plus long que l'alexandrin pour le traduire : le vers de quatorze syllabes serait l'idéal. Mais qu'il est délicat à manier !

Les traducteurs ont oublié de prendre en compte le « poids » des textes qu'ils traduisaient et se sont laissé aller à la facilité. Cette même facilité qui fait qu'ils ont traduit en prose tous les textes latins en vers, et qu'ils s'en sont fait même une règle absolue. Comme ils ont tort ! Ils commencent bien à s'en rendre compte.

En appliquant à des textes en prose les règles quantitatives imposées pour les textes en vers, il est toujours parfaitement possible d'obtenir des textes de poids égal ou faire au moins en sorte que le nombre de mots de sens plein soit identique en évitant la prolifération de mots grammaticaux superflus.

Caligula, Henri Tournier, Iulius et Jean Colinas.

 

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