Épodes

Les magnifiques vers d'Horace sont traduits par les participants des forums de langues anciennes.
 

In anum libidinosam

In anum libidinosam

Rogare longo putidam te saeculo
     Viris quid eneruet meas,
Cum sit tibi dens ater et rugis uetus
     Frontem senectus exaret,
Hietque turpis inter aridas natis
     Podex uelut crudae bouis ?
Sed incitat me pectus et mammae putres,
     Equina quales ubera,
Venterque mollis et femur tumentibus
     Exile suris additum.
Esto beata, funus atque imagines
     Ducant triumphales tuum,
Nec sit marita, quae rotundioribus
     Onusta bacis ambulet.
Quid, quod libelli Stoici inter sericos
     Iacere puluillos amant ?
Illiterati num minus nerui rigent,
     Minusue languet fascinum ?
Quod ut superbo prouoces ab inguine,
     Ore allaborandum est tibi.

Horace, Épodes, VIII

À une vieillarde lubrique

Me demander, toi qu'un long siècle a fait flétrir
     Pourquoi s'épuise ma vigueur,
Quand ton âge avancé a fait noircir tes dents
     Et couvert de rides ton front,
Quand ton sexe hideux baille en tes fesses sèches ¹
     Tel le cul d'une vache en rut ?
Tu as pour m'exciter tes seins, tes mammes molles
     – De vraies mamelles de jument,
Ton ventre flatulent et tes jambes bouffies
     Que surmontent tes cuisses maigres
Va en paix ! Qu'un grand faste et les honneurs funèbres
     T'accompagnent à tes obsèques !
Que nulle épouse n'aille, avec autour du cou
     Des perles plus rondes, plus lourdes... ²
Que dire quand on voit sur la soie des coussins
     Traîner des livres stoïciens ? ³
Mes nerfs sont-ils moins durs pour n'avoir pas de lettres
     Et mon sexe en est-il moins raide ? 4
Que si tu le veux voir se dresser sur mon ventre, 5
     Ta bouche aura bien du travail !

Traduction de Henri Tournier

 

La plupart des traducteurs omettent pudiquement cette Épode ainsi que l'Épode XII : M. Patin, ainsi que Sommer et Desportes n'en mentionnent même pas l'existence ; Leconte de Lisle et P. Daru en proposent le texte en s'excusant de ne pouvoir le traduire ; dans la collection Panckoucke, on en propose une traduction tellement édulcorée qu'on peine à y reconnaître l'original ! De véritables « chastes infidèles » ! Même Villeneuve, aux éditions des Belles Lettres, n'ose pas vraiment traduire le dernier vers de cette Épode – « il te faudra travailler d'un autre instrument » !

Pour notre part, conformément à ce que nous avons écrit dans notre introduction, compte tenu des devoirs du traducteur vis-à-vis de l'auteur qu'il traduit, nous n'avons point ce genre d'état d'âme.

¹ En tes fesses grêles. En tes fesses maigres. La version retenue présente des allitérations qui permettent de rendre le jeu des alternances vocaliques de aridas natis.

² Des perles plus grosses, plus rondes. La version retenue permet d'obtenir une rime assonancée avec « cou ».

³ Que dire quand on voit sur tes coussins de soie
     Traîner des livres Stoïciens ?

4 Mon sexe est-il moindre et moins raide ?

5 Que si tu le veux voir, triomphant, sur mon ventre.

Contre une vieille voluptueuse

Il te reste un chicot noir, ton antique front
Est ridé de vieillesse et s'ouvre entre tes fesses
Maigres un cul aussi dégoûtant que fion
De vache ballonnée et pourtant tu t'empresses,
Toi, par cent ans gâtée, à demander comment
Peut dormir ma vigueur ? Mais au plaisir m'appellent
Des ruines de nichons, tels que pis de jument,
Et des mollets enflés dessous des cuisses grêles
Ainsi qu'un ventre mou. Sois comblée ! Au devant
De ton enterrement que marchent les portraits
D'anciens triomphateurs, que n'ait aucun amant
Celle qui montrerait de plus charmants attraits !
Mais dis-moi que penser des livres stoïciens
Qui aiment séjourner entre tes draps de soie ?
Serait-ce qu'illettrés les nerfs raidissent moins
Ou qu'un membre viril se verrait moins la proie
D'un engourdissement et pointerait farouche
En ce qu'il te le faut convaincre avec la bouche ?

Traduction de Caligula

 

Caligula interprète différemment l'idée d'Horace pour « le cul d'une vache en rut » ; il semble plutôt que le cul de la vieille est aussi peu ragoûtant que celui d'une vache frappée d'indigestion – cruditas –, c'est-à-dire qui pète ou qui chie. Le terme crudus, a, um a plusieurs sens : cru, saignant, ballonné (problèmes de digestion). Podex est le pétard : c'est le cul qui pète.

Notons que Caligula ne respecte pas ici la forme poétique d'Horace. Les vingt vers, ou plutôt les dix distiques, sont devenus dix-huit alexandrins rimés. En revanche, le ton libre de l'original est bien conservé. Il propose une autre version respectant les distiques originels de l'Épode.

Contre une vieille libidineuse

Tu veux savoir, toi qu'un siècle a flétrie,
     Pourquoi ma force est endormie,
Quand tu n'as plus qu'un croc noir, qu'est ridé
     Ton front gravé d'antiquité,
Qu'un cul honteux entre tes fesses baille
     Comme aux vaches en mal d'entraille ?
Pour m'exciter ce couple de pendants
     Ruinés comme pis de juments,
Ton ventre mou et tes cuisses fluettes
     Surmontant des jambes replètes ?
Tu as gagné ! Que masques triomphaux
     Te précèdent jusqu'aux tombeaux,
Et sans amant soit celle qui promène
     Une plastique plus amène.
Mais dis ? Que font ces livres Stoïciens
     Couchés en tes soyeux coussins ?
Serait-ce donc qu'illettrés nerfs mollissent
     Ou que les membres moins languissent
Si, pour surgir d'un pubis orgueilleux,
     Tu fais dans l'oral besogneux ?

Traduction de Caligula

À l'égard d'une vieille libidineuse

Demander, toi qu'au long un siècle corrompit
     Quoi donc dénerve en moi le vit ?
Combien ta dent soit noire, et rides dans ton front
     Sénescent creusent leurs sillons,
Et ton aride fesse, hideuse s'entrebâille,
     Vache a tel cul, qui digéraille,
Mais ta poitrine doit m'inciter, ses mamelles,
     Semblent les pis des haridelles,
Puis ton ventre amolli, puis tes cuisses chétives
     À des mollets enflés se rivent !
Sois béate, et duit soit ton convoi mortuaire,
     Un triomphe en imaginaire,
Que nulle mariée aux lourdes et plus rondes
     Perles n'ambule à la ronde.
Quoi ? Car jetés emmi, des livrets stoïciens
     Aiment la soie en tes coussins,
Mes nerfs durciraient moins, eux qui sont illettrés
     Et ma fascine aurait baissé ?
Puisque tu la voudrais superbe sur mon ventre
     Qu'oralement, tu t'y concentres !

Traduction de Jean-Claude Lagarde

 

Quoi ! tu voudrais que j'usasse mes forces en l'honneur de tes appâts centenaires ! toi, dont les dents sont noires ; toi, dont le front est sillonné de rides ; toi, dont le corps décharné n'offre que des restes hideux à l'œil qui ose en affronter le spectacle ! Mais tu crois peut-être que mes désirs sont excités par cette gorge pendante, pareille aux mamelles d'une jument, par ce ventre flétri, par ces cuisses grêles, placées sur des jambes bouffies ? Sois opulente, je le veux ; qu'on porte à tes funérailles les images triomphales de tes aïeux ; éclipse toutes les femmes par le poids et l'éclat des perles qui t'écrasent : mais borne là toute ta gloire... Penses-tu qu'on se laisse séduire à ces livres de philosophie épars sur tes coussins de soie ? La beauté allume les désirs, et non la science. Celle dont tu fais parade ranime-t-elle l'ardeur de tes amants ? As-tu moins d'efforts à tenter pour triompher des dégoûts que tu inspires ?

Traduction libre de Henri Tournier

Alors qu'il ne te reste qu'une dent noircie, que la vieillesse a ridé ton front antique et que bée entre tes fesses un cul aussi dégoûtant que celui d'une vache flatulente, toi, décrépite par un long siècle, tu me demandes ce qui émousse mes forces ? Mais m'appellent à l'amour une poitrine et des mamelles en ruines, comme pis de jument, un ventre tout mou et des cuisses frêles supportant des mollets enflés. Sois heureuse ! Que des masques triomphaux mènent ton cortège funèbre et que ne trouve amant celle qui va et vient lotie d'appas plus accorts. Mais que dire de ce que des livres Stoïciens aiment être à disposition entre tes coussins de soie ? Est-ce que les bites sont moins dures parce que sans lettres ou est-ce qu'un membre viril languit moins que, pour le faire sortir d'un bas ventre tout en gloire, il te faut argumenter avec la bouche ?

Traduction de Caligula

Ad Vetulam iterum

Ad Vetulam iterum

Quid tibi uis, mulier nigris dignissima barris ?
     Munera quid mihi quidue tabellas
Mittis nec firmo iuueni neque naris obesae ?
     Namque sagacius unus odoror,
Polypus an grauis hirsutis cubet hircus in alis,
     Quam canis acer ubi lateat sus.
Qui sudor uietis et quam malus undique membris
     Crescit odor, cum pene soluto
Indomitam properat rabiem sedare ; neque illi
     Iam manet umida creta colorque
Stercore fucatus crocodili, iamque subando
     Tenta cubilia tectaque rumpit !
Vel mea cum saeuis agitat fastidia uerbis :
     « Inachia langues minus ac me ;
Inachiam ter nocte potes, mihi semper ad unum
     Mollis opus. Pereat male, quae te
Lesbia quaerenti taurum monstrauit inertem,
     Cum mihi Cous adesset Amyntas,
Cuius in indomito constantior inguine neruus
     Quam noua collibus arbor inhaeret.
Muricibus Tyriis iteratae uellera lanae
     Cui properabantur ? Tibi nempe,
Ne foret aequalis inter conuiua, magis quem
     Diligeret mulier sua quam te.
O ego non felix, quam tu fugis ut pauet acris
     Agna lupos capreaeque leones ! »

Horace, Épodes, XII

À une autre vieillarde

Que cherches-tu, femme à donner à de noirs éléphants ?
     Pourquoi tous ces présents, ces billets doux ?
Je suis encor fragile et j'ai l'odorat trop subtil ; ¹
     Nul mieux que moi, vraiment, ne subodore
Un abcès ou l'odeur de bouc dans le poil des aisselles,
     Tel le chien qui flaire le sanglier.
Sur sa peau suante et flétrie, quel horrible parfum
     Lorsque mon sexe enfin s'est délié,
Et que sa rage inassouvie réclame un sédatif !
     Déjà le fond de teint coule et le fard
Pétri de merde de lézard, déjà me chevauchant
     Elle a rompu le lit, le baldaquin !
Parfois furieuse elle dit, reprochant mon dédain :
     « Inachia te laisse bien moins froid !
Tu la combles trois fois la nuit ; chez moi tu restes mou
     Et dès le premier coup ! Lesbie maudite
Qui m'indiqua cet impuissant : je voulais un taureau !
     Et dire que j'avais cet Amyntas
Dont le sexe est bien mieux planté dans son aîne indomptable
     Qu'un arbre vigoureux sur la colline !
Cette laine trempée deux fois dans la pourpre de Tyr,
     Pour qui l'ai-je apprêtée ? Pour toi, bien sûr :
À table, aucun de tes amis n'aurait pu se vanter
     D'avoir une maîtresse plus aimante.
Malheur à moi quand tu me fuis, tel l'agnelle apeurée
     Craignant le loup, ou la chevrette le lion ! »

Traduction de Henri Tournier

 

¹ Je suis encor bien jeune et mon nez trop subtil.

Que veux-tu de moi, vieille mégère, digne d'avoir pour amants des éléphants noirs ? Pourquoi m'envoies-tu ces présents ? Pourquoi ces messages d'amour ? Je ne suis pas assez vigoureux pour toi, et j'ai l'odorat trop fin. Jamais chien de chasse n'a mieux senti la piste d'un sanglier que je ne découvre les mauvaises odeurs qu'exhalent les narines d'une femme ou ses aisselles velues ! Quelle sueur découle de tes chairs molles, quel triste parfum tes membres répandent, lorsque tout est prêt pour le sacrifice, et que tu te hâtes d'assouvir la rage indomptée de tes sens ! La céruse, le fard de crocodile coulent alors en ruisseaux sur ses joues ; et, dans sa fureur lascive, elle fait trembler le lit et le plancher. Avec quel emportement me reproche-t-elle parfois mes dégoûts ! « Tu es moins froid, dit-elle, pour Inachia que pour moi ! Pour Inachia, tes transports sont infatigables ; et moi, je vois tes feux s'éteindre après une seule caresse ! Maudite soit Lesbie, qui m'a donné un si faible athlète, lorsque je cherchais un taureau, lorsque je possédais Amyntas de Cos, Amyntas, dont l'ardeur toujours renaissante s'attache à l'heureux objet de ses feux, comme le jeune arbre au coteau qui l'a vu naître ! Ingrat, pour qui préparais-je ces riches étoffes, deux fois plongées dans la pourpre de Tyr ? Pour toi seul ! Je voulais qu'à table aucun de tes jeunes compagnons ne pût se vanter d'être plus chéri de sa maîtresse ! et tu me fuis, malheureuse que je suis ! tu m'évites, comme l'agneau fuit le loup, comme la chèvre craint le lion ! »

Traduction de Henri Tournier

 

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