In tumulum Annae Mommorantii

Quelques épitaphes de Jean Dorat traduites par les participants des forums de langues anciennes.
 

Henri Tournier et Caligula nous traduisent l'épitaphe écrite par Jean Dorat pour le tombeau du connétable Anne de Montmorency. Ils nous proposent deux versions non rimées : l'une moderne, l'autre en un style imitant celui du XVIe siècle.

In tumulum annae Mommorantii

In tumulum annae Mommorantii

Gallica per cunctas ploranda Tragoedia gentes
     Quum populi furiis altera caepit agi.
Regis & hinc stabant iuratae in bella cohortes,
     Inde rebellantium certa perire phalanx.
Qui senior primum Momorantius agmen agebat,
     Tot memoranda suae clarus ob acta manus.
Ipse addens animos, animosaque praelia miscens,
     Aevo fractus, adhuc sed invenile calens.
Renes glande, caput gladio perfractus acuto,
     Agminis ipse sui procidit ante pedes.
Hoc senis & facto, fato & ducis, acrius agmen
     Proruit : & fuso victor ab hoste redit.
Triste decus damno : nec erat victoria tanti,
     Perderet ut talem Gallica terra ducem.
Sed si nec miseris fieri faelicior annis,
     Nec potuit fato spendidiore mori :
Extenuet nostros defuncti gloria luctus,
     Invideat famae ne sua turba Ducis.
Qui vitam clausit memorando in secula facto,
     Pro Rege impubi victima cana cadens.

Io. Auratus

Sur le tombeau d'Anne de Montmorency

Les nations pleuraient la tragédie française
     Quand, fou, ce peuple en ouvre une nouvelle.
Ici, l'armée du Roi, fidèle dans la guerre.
     Là, révoltés, des gens sûrs de périr.
Menait la grande armée Montmorency l'aîné
     Que ses hauts faits rendaient déjà illustre,
Attisant les ardeurs, se mêlant aux combats,
     Malgré son âge ardent comme un jeune homme.
Mitraillé dans les reins, la tête fracassée
     Il tombe terrassé devant ses troupes.
Ce geste et ce destin galvanisent l'armée :
     Sonnant la charge elle vainc l'ennemi.
Je hais ce triste honneur : pourquoi cette victoire
     Quand la France perdait un si grand chef ?
Mais en ces tristes temps point de plus grand bonheur
     Ni pour mourir de sort plus éclatant.
La gloire du défunt, qu'elle sèche nos pleurs,
     Que nul n'envie la renommée du Duc :
À sa vie mit un terme une action mémorable,
     Vieillard tombé pour un prince impubère.

Traduction de Henri Tournier

 

Sus le tombeau d'Anne de Montmorency

Les maulx François valoient un pleur universel,
     Quand les Furies frappèrent derechef.
Cy l'ost féal au Roy, qui luy presta serment,
     Là les félons, certains d'estre défaycts.
Montmorency le Vieulx tenoit la prime ligne,
     Homme illustré par ses hauts faycts de guerre.
Ravivant les ardeurs, prenant part au combat,
     Brisé par l'âge, il sembloit encor jeune.
Touché aux reins, le chef rompu par une lame,
     Il succomba aux pieds de ses soldats.
Ce trespas du vieil homme et ce destin de chef
     Émurent l'ost qui chargea et vaincquit.
Je hays ce triste honneur : falloit-il ainsi vaincre
     Pour que la France eust à perdre un tel chef ?
Même si plus heureux en ces ans malheureux,
     Ou de trespas plus illustre on ne vit :
Que dessèche nos pleurs la gloyre du défunct
     Et que les siens n'envyent le sort du Duc.
Il termina sa vie en un fayct mémorable,
     Vieillard tombé pour un Roy impubère.

Traduction de Caligula

 

Une traduction en prose d'Yves Ouvrard :

On devait pleurer une tragédie française parmi toutes les nations, lorsqu'une nouvelle commença par la furie d'un peuple. Ici se tenaient les cohortes du Roi, qui avaient juré de faire la guerre, là une phalange de rebelles, assurée de périr. Montmorency le père menait l'armée, en première ligne, illustre pour tant de faits mémorables accomplis par sa main. Il prenait part lui-même à la bataille, avec un cœur hardi, brisé par l'âge, mais ardent encor comme un jeune homme. Les reins fracassés par une balle, la tête par un glaive aigu, il tomba aux pieds de ses soldats. Et ainsi l'armée de ce vieillard, et de ce chef, rendue plus vaillante par ce coup du sort chargea, renversa l'ennemi et revint victorieuse. Je condamne cette triste gloire : la victoire n'était pas si chère qu'il fallût que la terre de France perdît un tel chef. Mais il n'aurait pu ni devenir plus heureux en ces malheureuses années, ni mourir d'un sort plus splendide : la gloire du défunt affaiblira notre deuil, afin que la foule n'envie pas la gloire de ce Duc. Qui termina sa vie par un fait mémorable dans les siècles, tombant vieillard chenu pour un Roi imberbe.

 

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