Formation du futur et du conditionnel

Le latin et le grec sont omniprésents dans notre langue et notre culture. Quid noui ?
 

L'expression cantare habeo est une forme de futur qui sera usitée de plus en plus jusqu'à disparition de la forme simple cantabo, jusqu'à en devenir la base des futurs romans.

Dans le latin classique, la tournure « habeo + infinitif » signifie « être capable de ». On trouve en effet la tournure chez Cicéron : habeo polliceri signifie « je puis promettre ».
Elle appartient au latin parlé qui est l'ancêtre direct des langues romanes. Si l'on tire la nécessité de l'usage, il semble bien que quelque part, ces formes avec l'auxiliaire habere étaient plus « parlantes » que les simples désinences sur les racines verbales. En outre, il est plus facile de n'avoir qu'un verbe à décliner et toujours le même, auquel on adjoint l'infinitif. Car n'oublions pas que le futur simple était peu aisé à utiliser.
Sa déclinaison est même un peu artificielle puisque legabo, legabis, delebo et delebis semblent logiques tandis que legam, leges, audiam, audies, capiam et capies en sus de confusions avec legam, legas, audiam, audias, capiam et capias n'offrent rien de bien solide.

C'est l'influence du grec, avec la forme « thélô + infinitif » (je veux), qui fera de cette tournure « habeo + infinitif » un substitut du futur simple, car en latin il existait plusieurs autres formes avec auxiliaires pour remplacer le futur simple disparaissant : facere incipio, facere uolo, facere debeo, mais aussi les formes participiales facturus sum et même au passif faciendus est.
Pareillement, cantare habebam deviendra la forme du conditionnel.

Ce sont les formes cantare habeo (j'ai à chanter, c'est-à-dire je chanter + ai) et cantare habebam (j'avais à chanter, soit je chanter + ais) qui donneront le futur et le conditionnel.
La structure périphrastique existait dans les langues germaniques et ces futurs se répandent après les grandes invasions. La Romania a été divisée en deux : l'une qui a utilisé scribere habeo à l'ouest, l'autre qui a utilisé scribere uolo à l'est. Cette deuxième forme concerne le roumain. Mais il existe aussi des formes sur *venio ad scribere en romanche dans les Grisons sous l'influence de l'allemand « ich werde + infinitif ».

Si l'on prend les formes latines classiques, elles étaient fragiles en finale. Cantabo était attaqué par l'amuïssement des voyelles finales. L'imparfait ne se portait pas mieux car cantabam a vite perdu sous l'Empire son « -m » final. De plus, le verbe « être » aboutissait en ancien français à une confusion entre le futur et l'imparfait :

 

Il s'est donc produit plusieurs réfections simultanées. L'imparfait a été refait sur stare. Le futur a été refait sur *essere, refonte de l'infinitif esse sur les verbes de la première conjugaison. De la même manière, tous les dérivés de sum ont été alignés, à l'image de *potere et non posse.

Pour l'évolution phonétique du futur, il ne faut pas partir de la forme latine classique, mais d'un /kantar abéo/. Les formes suivent l'histoire du verbe « avoir » au présent, sauf pour le première et la seconde personne du pluriel. Nous avons affaire à une palatalisation de la labiale /b/ devant /é/ devenu /j/ en passant par /v/ en finale. Le verbe devient /ajj/, puis /aj/ au VIIe siècle. La diphtongue obtenue par coalescence se réduit au XIIe siècle en français. Pour la première et la seconde personne du pluriel, la chute de l'élément « av » s'est produite à une époque indéterminée, sans doute romane et non en ancien français. Nous l'expliquons par la rapidité du débit ; le fait est commun avec le portugais, l'italien, le castillan.

Le conditionnel est bien sûr formé sur l'imparfait. Mais attention ! Cantare habebam ne donne pas directement « chanterais » tout comme cantarebam ne donne pas directement « chantais ». Le « s » est purement graphique et correspond à un alignement de la première personne du singulier sur la seconde : cantare habebas, cantarebas. En ancien français, nous avions « chantereie », « chanteie ». Le « -e » final s'amuït au XIIIe siècle.

B. Hanuman, Caligula, C. Pompeius Trimalchio, Dominique Didier et Iulius.

 

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