De natura deorum – Liber III (XI à XX)

Document PDF à télécharger Ugo Bratelli, participant actif aux forums de langues anciennes, est l'auteur de la traduction du troisième livre du De natura deorum, traduction française qui est d'ailleurs la première depuis plus d'un demi-siècle !
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Pars XI

[XXVII] At enim quaerit apud Xenophontem Socrates, unde animum arripuerimus, si nullus fuerit in mundo. Et ego quaero, unde orationem, unde numeros, unde cantus ; nisi uero loqui solem cum Iuna putamus, cum propius accesserit, aut ad harmoniam canere mundum, ut Pythagoras existimat. Naturae ista sunt, Balbe, naturae non artificiose ambulantis, ut ait Zeno – quod quidem quale sit, iam uidebimus –, sed omnia cientis et agitantis motibus et mutationibus suis.
[27] Mais Socrate, dans Xénophon, pose cette question : où avons-nous pris notre âme si le monde n'a pas d'âme ? Et je demande, moi, où nous avons pris le langage, la notion des nombres, le chant ; à moins que nous ne pensions que le soleil parle avec la lune quand il s'en approche, ou que le monde émet une musique harmonieuse, comme le pense Pythagore. Ces phénomènes, Balbus, sont l'œuvre de la nature, pas d'une nature qui procède en artiste, comme le soutient Zénon – nous verrons de quoi il s'agit –, mais qui imprime un mouvement à travers ses déplacements et ses changements.
[XXVIII] Itaque illa mihi placebat oratio de conuenientia consensuque naturae, quam quasi cognatione continuatam conspirare dicebas ; illud non probabam, quod negabas id accidere potuisse, nisi ea uno diuino spiritu contineretur. Illa uero cohaeret et permanet naturae uiribus, non deorum, estque in ea iste quasi consensus, quam synpatheian Graeci uocant ; sed ea, quo sua sponte maior est, eo minus diuina ratione fieri existimanda est.
[28] Et ainsi je m'accordais avec ce que tu disais sur l'harmonie et sur l'accord de la nature ; toutes ses parties étant liées entre elles comme par un rapport de parenté, elle tend harmonieusement, disais-tu, à la réalisation d'un objectif. Je n'étais pas d'accord avec ton affirmation suivante : que cela ne pourrait pas se produire sans l'intervention coordonnatrice d'une même âme divine. La nature maintient au contraire sa cohésion grâce à une force qui lui est propre, non grâce à une force divine, et il y a entre ses parties une sorte d'harmonie que les Grecs appellent sympátheia ; et plus elle est grande et spontanée, moins il faut penser qu'elle doit être attribuée à une raison divine.
 

Pars XII

[XXIX] Illa autem, quae Carneades adferebat, quemadmodum dissoluitis ? Si nullum corpus inmortale sit, nullum esse corpus sempiternum : corpus autem inmortale nullum esse, ne indiuiduum quidem nec, quod dirimi distrahiue non possit ; cumque omne animal patibilem naturam habeat, nullum est eorum, quod effugiat accipiendi aliquid extrinsecus, id est quasi ferendi et patiendi necessitatem, et si omne animal tale est, inmortale nullum est. Ergo itidem, si omne animal secari ac diuidi potest, nullum est eorum indiuiduum, nullum aeternum ; atqui omne animal ad accipiendam uim externam et ferundam paratum est ; mortale igitur omne animal et dissolubile et diuiduum sit necesse est.
[29] Et comment répondez-vous aux objections de Carnéade ? Si aucun corps n'est immortel, alors aucun corps n'est éternel : mais aucun corps n'est immortel ni même indivisible, ni tel qu'on ne puisse le décomposer ou le désagréger ; et puisque chaque être vivant est, par nature, susceptible de perception, aucun être vivant ne peut échapper à la nécessité de recevoir quelque sollicitation de l'extérieur, c'est-à-dire, en d'autres termes, de subir et de souffrir ; et si telle est la nature de tout être vivant, alors aucun être vivant n'est immortel. Donc, de la même façon, si tout être vivant est divisible en parties, aucun être vivant n'est indivisible ni éternel ; mais tout être vivant est ainsi fait qu'il peut recevoir et subir une force extérieure ; il s'ensuit donc que tout être vivant est mortel, destructible et divisible.
[XXX] Ut enim, si omnis cera commutabilis esset, nihil esset cereum, quod commutari non posset, item nihil argenteum, nihil aeneum, si commutabilis esset natura argenti et aeris similiter igitur, si omnia, quae sunt, e quibusdam rebus constant, et si ea, e quibus cuncta constant, mutabilia sunt, nullum corpus esse potest non mutabile ; mutabilia autem sunt illa, ex quibus omnia constant, ut uobis uidetur ; omne igitur corpus mutabile est. At si esset corpus aliquod immortale, non esset omne mutabile ; ita efficitur, ut omne corpus mortale sit. Etenim omne corpus aut aqua aut aer aut ignis aut terra est aut id, quod est concretum ex iis aut ex aliqua parte eorum.
[30] Prenons un exemple : si la cire, en soi, était malléable, il n'y aurait aucun objet de cire qui ne pourrait être sujet à transformations ; on pourrait en dire autant d'un objet d'argent ou de bronze, si telle était la nature de ces métaux. Donc, de la même façon, si tous les éléments dont tous les êtres sont constitués sont susceptibles de transformation, il n'y a pas de corps qui ne soit transformable ; mais, d'après vous, les éléments dont toutes les choses sont constituées sont susceptibles de transformation ; donc chaque corps est susceptible de transformation. Mais s'il existait un corps immortel, tous les corps ne seraient pas transformables ; donc chaque corps est mortel. Et de fait chaque corps est constitué d'eau ou d'air ou de feu ou de terre ou d'un mélange de ces éléments ou d'une partie d'entre eux.
[XXXI] Horum autem nihil est, quin intereat ; nam et terrenum omne diuiditur, et humor ita mollis est, ut facile premi conlidique possit ; ignis uero et aer omni pulsu facillime pellitur naturaque cedens est maxume et dissupabilis. Praetereaque omnia haec tum intereunt, cum in naturam aliam conuertuntur ; quod fit, cum terra in aquam se uertit et cum ex aqua oritur aer, ex aere aether, cumque eadem uicissim retro commeant. Quod si ita est, ut ea intereant, e quibus constet omne animal, nullum est animal sempiternum.
[31] Or il n'y a aucun de ces éléments qui ne soit sujet à destruction ; tout ce qui est de terre se divise, et l'eau est si souple qu'elle peut être aisément pressée et comprimée ; le feu et l'air ensuite sont mis en mouvement très facilement, sous l'effet de n'importe quelle impulsion, et par nature ils manquent tellement de consistance qu'ils se dispersent avec une extrême facilité. De plus, tous ces éléments périssent quand ils se transforment en un autre élément, comme cela arrive quand la terre se transforme en eau, et quand de l'eau naît l'air, et de l'air l'éther, et quand les mêmes éléments suivent le même processus en sens inverse. Et si les éléments dont est composé chaque être vivant sont destinés à périr, aucun être vivant n'est éternel.
 

Pars XIII

[XXXII] Et ut haec omittamus, tamen animal nullum inueniri potest, quod neque natum umquam sit et semper sit futurum. Omne enim animal sensus habet ; sentit igitur et calida et frigida et dulcia et amara nec potest ullo sensu iocunda accipere, non accipere contraria ; si igitur uoluptatis sensum capit, doloris etiam capit ; quod autem dolorem accipit, id accipiat etiam interitum necesse est ; omne igitur animal confitendum est esse mortale.
[32] Et pour en finir avec cette question, on ne peut trouver un être vivant qui ne soit jamais né et qui vivra pour toujours, parce que chaque être vivant est doué de sensibilité ; il perçoit donc le chaud, le froid, le doux, l'amer, et il ne possède aucun sens qui lui permettrait de percevoir les sensations agréables et non celles qui ne le sont pas ; alors, s'il perçoit le plaisir, il perçoit aussi la douleur ; mais ce qui perçoit la douleur est inévitablement sujet destruction ; il faut donc admettre que tous les êtres vivants sont mortels.
[XXXIII] Praeterea, si quid est, quod nec uoluptatem sentiat nec dolorem, id animal esse non potest ; sin autem, quod animal est, id illa necesse est sentiat, et, quod ea sentiat, non potest esse aeternum ; et omne animal sentit ; nullum igitur animal aeternum est. Praeterea nullum potest esse animal, in quo non et adpetitio sit et declinatio naturalis. Adpetuntur autem, quae secundum naturam sunt, declinantur contraria ; et omne animal adpetit quaedam et fugit a quibusdam ; quod autem refugit, id contra naturam est, et quod est contra naturam, id habet uim interemendi. Omne ergo animal intereat necesse est.
[33] En outre, si un être n'éprouve ni plaisir ni douleur, il ne peut être vivant ; si donc un être est vivant, il éprouvera nécessairement du plaisir et de la douleur, et l'être, assujetti à ces sensations, ne peut pas être éternel ; et tout être vivant les éprouve ; donc, aucun être vivant n'est éternel. En outre, aucun être ne peut exister sans un instinct naturel de désir et de répulsion : il désire ce vers quoi le pousse sa nature et se refuse à ce qui lui est opposé ; et tout être désire certaines choses et se détourne d'autres ; et ce de quoi il se détourne est contre sa nature, et ce qui est contre sa nature a le pouvoir de le détruire. Donc tout être vivant doit nécessairement périr.
[XXXIV] Innumerabilia sunt, ex quibus effici cogique possit nihil esse, quod sensum habeat, quin id intereat ; etenim ea ipsa, quae sentiuntur, ut frigus, ut calor, ut uoluptas, ut dolor, ut cetera, cum amplificata sunt, interimunt ; nec ullum animal est sine sensu ; nullum igitur animal aeternum est.
[34] Nombreuses sont les raisons qui nous autorisent à démontrer, de façon certaine, qu'il n'est rien qui aurait de la sensibilité et qui ne périrait pas, car les sensations elles-mêmes, comme le froid, le chaud, le plaisir, la douleur, etc., quand elles atteignent à un certain degré sont mortelles ; et aucun être vivant n'est dépourvu de sensibilité, donc aucun être vivant n'est éternel.
 

Pars XIV

Etenim aut simplex est natura animantis, ut uel terrena sit uel ignea uel animalis uel umida, quod quale sit ne intellegi quidem potest, aut concretum ex pluribus naturis, quarum suum quaeque locum habeat, quo naturae ui feratur, alia infimum, alia summum, alia medium. Haec ad quoddam tempus cohaerere possunt, semper autem nullo modo possunt ; necessest enim in suum quaeque locum natura rapiatur. Nullum igitur animal est sempiternum.
Et la nature d'un être animé est ou bien simple (par exemple de terre, de feu, d'air, ce qui est inconcevable) ou bien se compose de plusieurs éléments, chacun desquels occupe la place à laquelle il est amené par une impulsion naturelle, l'un en bas, l'autre en haut, l'autre au milieu. Ces éléments peuvent rester unis pendant un certain temps, mais absolument pas pour toujours ; chacun d'eux est nécessairement entraîné, par la nature, à sa place. Donc, aucun être animé n'est éternel.
[XXXV] Sed omnia uestri, Balbe, solent ad igneam uim referre Heraclitum, ut opinor, sequentes, quem ipsum non omnes interpretantur uno modo ; quem, quoniam, quid diceret, intellegi noluit, omittamus ; uos autem ita dicitis, omnem uim esse ignem, itaque et animantis, cum calor defecerit, tum interire, et in omni natura rerum id uiuere, id uigere, quod caleat. Ego autem non intellego, quomodo calore extincto corpora intereant, non intereant umore aut spiritu amisso, praesertim cum intereant etiam nimio calore.
[35] Mais les maîtres de votre école, Balbus, ont coutume de tout rapporter à la force ignée, en se référant, je pense, à Héraclite, dont les écrits non pas été interprétés de manière univoque ; mais puisqu'il n'a pas voulu être compris, laissons cet auteur de côté. Mais vous, vous affirmez que toute force se confond avec le feu, c'est pourquoi les êtres vivants périssent quand la chaleur vient à manquer, et, dans la nature, tout ce qui possède la chaleur possède la vie et la vigueur. Mais moi je ne comprends pas comment les corps peuvent périr, faute de chaleur et non faute d'humidité ou d'air, d'autant qu'ils peuvent périr aussi par excès de chaleur.
[XXXVI] Quamobrem id quidem commune est de calido ; uerum tamen uideamus exitum. Ita uoltis, opinor, nihil esse animal intrinsecus in natura atque mundo praeter ignem : qui magis quam praeter animam, unde animantium quoque constet animus, ex quo animal dicitur ? Quomodo autem hoc, quasi concedatur, sumitis, nihil esse animum nisi ignem ; probabilius enim uidetur tale quiddam esse animum, ut sit ex igni atque anima temperatum. « Quodsi ignis ex sese ipse animal est nulla se alia admiscente natura, quoniam is, cum inest in corporibus nostris, efficit, ut sentiamus, non potest ipse esse sine sensu. » Rursus eadem dici possunt : quidquid est enim, quod sensum habeat, id necesse est sentiat et uoluptatem et dolorem, ad quem autem dolor ueniat, ad eundem etiam interitum uenire. Ita fit, ut ne ignem quidem efficere possitis aeternum.
[36] Pour cette raison, ce que vous affirmez de la chaleur vaut aussi pour les autres éléments ; mais voyons-en les conséquences. Vous soutenez, je crois, que dans la nature et dans le monde il n'est aucun être en dehors de nous, le feu excepté : mais pourquoi le feu plutôt que l'air – anima –, dont est constituée l'âme des êtres vivants, d'où le terme animal – être vivant, être animé ? Sur quoi vous appuyez-vous pour tenir pour acquis le présupposé qu'il n'est pas d'âme sans feu ? De fait, il paraît plus probable que l'âme soit un mélange de feu et d'air. Vous ajoutez : « Et si le feu est vivant en soi sans être mélangé à rien d'autre (quand il se trouve dans notre corps, il produit de la sensibilité), il ne peut être lui-même dépourvu de sensibilité. » On peut répéter le même argument : tout ce qui possède de la sensibilité doit nécessairement éprouver du plaisir et de la douleur, or tout être qui est atteint par la douleur est atteint aussi par la destruction. Il s'ensuit que vous ne réussissez même pas à démontrer l'éternité du feu.
[XXXVII] Quid enim ? Non eisdem uobis placet omnem ignem pastus indigere nec permanere ullo modo posse, nisi alatur, ali autem solem, lunam, reliqua astra aquis, alia dulcibus, alia marinis ; eamque causam Cleanthes adfert, cur se sol referat nec longius progrediatur solstitiali orbi itemque brumali, ne longius discedat a cibo. Hoc totum quale sit, mox ; nunc autem concludatur illud : quod interire possit, id aeternum non esse natura ; ignem autem interiturum esse, nisi alatur ; non esse igitur natura ignem sempiternum.
[37] De surcroît, n'estimez-vous pas que tout feu a besoin de nourriture, et qu'il ne peut absolument pas durer s'il n'est pas alimenté, et d'autre part que le soleil, la lune et les autres corps célestes sont alimentés d'eau, les uns d'eau douce, les autres d'eau salée ? C'est la raison pour laquelle, selon Cléante, le soleil, au solstice d'été ou d'hiver, revient en arrière, et ne procède pas plus avant : pour ne pas trop s'éloigner de sa source d'alimentation. Nous parlerons de ce point un peu plus tard ; pour l'instant, bornons-nous à cette déduction : ce qui peut périr n'est pas éternel par nature ; or le feu est destiné à périr s'il n'est pas alimenté ; donc le feu n'est pas éternel par nature.
 

Pars XV

[XXXVIII] Qualem autem deum intellegere nos possumus nulla uirtute praeditum ? Quid enim ? Prudentiamne deo tribuemus, quae constat ex scientia rerum bonarum et malarum et nec bonarum nec malarum ? Cui mali nihil est nec esse potest, quid huic opus est dilectu bonorum et malorum, quid autem ratione, quid intellegentia ; quibus utimur ad eam rem, ut apertis obscura adsequamur ; at opscurum deo nihil potest esse. Nam iustitia, quae suum cuique distribuit, quid pertinet ad deos ; hominum enim societas et communitas, ut uos dicitis, iustitiam procreauit. Temperantia autem constat ex praetermittendis uoluptatibus corporis : cui si locus in caelo est, est etiam uoluptatibus. Nam fortis deus intellegi qui potest, in dolore an in labore an in periculo : quorum deum nihil adtingit.
[38] Mais quel dieu pouvons-nous concevoir, qui ne serait doté d'aucune vertu ? Alors attribuerons-nous au dieu la sagesse qui consiste dans la connaissance de ce qui est bien et de ce qui est mal, et de ce qui n'est ni bien ni mal ? Mais un être qui n'est sujet et ne peut être sujet à rien de mal, quel besoin a-t-il de distinguer le bien et le mal, et quel besoin a-t-il de la raison et de l'intelligence ? Nous usons de ces facultés pour comprendre ce qui est obscur, à partir de ce qui est clair ; mais rien ne peut être obscur à dieu. Passons à la justice : elle donne à chacun ce qui lui revient, mais qu'a-t-elle à voir avec dieu ? La société et la communauté humaines, comme vous dites, ont créé la justice. La tempérance, ensuite, consiste à négliger les plaisirs du corps : et si elle a sa place au ciel, les plaisirs ont aussi la leur. Comment peut-on concevoir un dieu fort ? Dans la douleur, peut-être ? Dans l'exploit ? Dans le danger ? Rien de tout cela ne concerne dieu.
[XXXIX] Nec ratione igitur utentem nec uirtute ulla praeditum deum intellegere qui possumus ? Nec uero uolgi atque imperitorum inscitiam despicere possum, cum ea considero, quae dicuntur a Stoicis. Sunt enim illa imperitorum : piscem Syri uenerantur, omne fere genus bestiarum Aegyptii consecrauerunt ; iam uero in Graecia multos habent ex hominibus deos, Alabandum Alabandis, Tenedi Tenen, Leucotheam, quae fuit Ino, et eius Palaemonem filium cuncta Graecia – Herculem, Aesculapium, Tyndaridas, Romulum nostrum aliosque compluris, quos quasi nouos et adscripticios ciues in caelum receptos putant.
[39] Alors comment est-il possible de concevoir un dieu dépourvu de raison et de toute vertu ? Et, à considérer les propos tenus par les Stoïciens, je ne peux décidément pas mépriser la stupidité de la masse ignorante. Ces croyances sont celles de gens incultes : les Syriens vénèrent un poisson, les Égyptiens ont divinisé presque toute espèce d'animaux ; en Grèce, ensuite, on a de nombreux dieux qui étaient des hommes à l'origine : Alabandos à Alabanda, Ténès à Ténédos, Leucothée (précédemment Ino) et son fils Palémon dans toute la Grèce – Hercule, Esculape, les Tyndarides, notre Romulus et de nombreux autres dont on pense qu'ils ont été accueillis au ciel à titre, si l'on peut dire, de citoyens nouveaux et récemment inscrits.
 

Pars XVI

[XL] Haec igitur indocti ; quid uos philosophi, qui meliora ? Omitto illa, sunt enim praeclara : sit sane deus ipse mundus. Hoc credo illud esse « sublime candens, quem inuocant omnes Iouem ». Quare igitur pluris adiungimus deos ? Quanta autem est eorum multitudo : mihi quidem sane multi uidentur ; singulas enim stellas numeras deos eosque aut beluarum nomine appellas, ut Capram, ut Nepam, ut Taurum, ut Leonem, aut rerum inanimarum, ut Argo, ut Aram, ut Coronam.
[40] Telles sont donc les croyances des ignorants ; mais vous, les philosophes, en quoi vos théories sont-elles meilleures ? Laissons-en certaines de côté : elles sont si remarquables qu'elles ne sauraient être réfutées. Mais admettons que le monde lui-même soit dieu : je crois que cela signifie « la splendeur éclatante, là-haut, que tous invoquent sous le nom de Jupiter ». Mais pourquoi ajoutons-nous de nombreux autres dieux ? Et en si grande quantité ! Ils me paraissent certes nombreux, vu que tu considères chaque étoile comme un dieu et que tu lui donnes un nom d'animal, comme chèvre, scorpion, taureau, lion, ou d'objet inanimé comme Argo, Autel, Couronne.
[XLI] Sed ut haec concedantur, reliqua qui tandem non modo concedi, sed omnino intellegi possunt ? Cum fruges Cererem, uinum Liberum dicimus, genere nos quidem sermonis utimur usitato, sed ecquem tam amentem esse putas, qui illud, quo uescatur, deum credat esse ? Nam quos ab hominibus peruenisse dicis ad deos, tu reddes rationem, quemadmodum id fieri potuerit aut cur fieri desierit, et ego discam libenter ; quomodo nunc quidem est, non uideo, quo pacto ille, cui « in monte Oetaeo inlatae lampades » fuerint, ut ait Accius, « in domum aeternam patris » ex illo ardore peruenerit ; quem tamen Homerus apud inferos conueniri facit ab Ulixe sicut ceteros, qui excesserant uita.
[41] Mais en admettant également cela, comment peut-on non seulement admettre mais simplement comprendre le reste ? Quand nous disons que les moissons sont Cérès, le vin Liber, nous utilisons un langage de tous les jours ; mais penses-tu qu'il existe quelqu'un d'assez fou au point de croire que l'aliment dont il se nourrit est un dieu ? En fait je pense à ceux qui, comme tu l'affirmes, d'hommes sont devenus dieux ; tu m'expliqueras comment ce phénomène a pu se produire et pourquoi il ne se produit plus, et je l'apprendrai volontiers ; dans l'état actuel des choses, je ne vois pas comment celui qui « subit les torches sur le mont Œta », comme dit Accius, a pu se rendre, depuis son bûcher, à « la demeure éternelle de son père » ; Homère, cependant, le fait rencontrer par Ulysse dans les Enfers, comme les autres défunts.
[XLII] Quamquam quem potissimum Herculem colamus, scire sane uelim ; pluris enim tradunt nobis ii, qui interiores scrutantur et reconditas litteras, antiquissimum Ioue natum – sed item Ioue antiquissimo, nam Ioues quoque pluris in priscis Graecorum litteris inuenimus : ex eo igitur et Lysithoe est is Hercules, quem concertauisse cum Apolline de tripode accepimus. Alter traditur Nilo natus Aegyptius, quem aiunt Phrygias litteras conscripsisse. Tertius est ex Idaeis Digitis ; cui inferias adferunt Cretes. Quartus Iouis est et Asteriae, Latonae sororis, qui Tyri maxime colitur, cuius Carthaginem filiam ferunt ; quintus in India, qui Belus dicitur, sextus hic ex Alcmena, quem Iuppiter genuit, sed tertius Iuppiter, quoniam, ut iam docebo, pluris Ioues etiam accepimus.
[42] Toutefois il me plairait de savoir quel Hercule en particulier nous vénérons ; de nombreux savants, qui ont étudié à fond les mystères de la littérature spécialisée, nous en transmettent plus d'un ; le plus ancien est le fils de Jupiter, mais, pareillement, du Jupiter le plus ancien, vu que nous trouvons également de nombreux Jupiter dans l'antique littérature grecque ; de ce Jupiter, donc, et de Lysithoé, naquit ce Hercule qui, selon la tradition, entra en compétition avec Apollon au sujet du trépied. Pour ce qui concerne le deuxième, on rapporte qu'il est Égyptien, fils du Nil, et qu'il écrivit de la musique phrygienne. Le troisième provient des Dactyles de l'Ida et on lui offre des sacrifices. Le quatrième est fils de Jupiter et d'Astérie, sœur de Latone, il est vénéré surtout à Tyr, et on dit que Carthage fut sa fille ; le cinquième, appelé Bélos, réside en Inde ; le sixième est le nôtre, fils d'Alcmène et de Jupiter, mais du troisième Jupiter, car, ainsi que je le montrerai par la suite, la tradition compte aussi de nombreux Jupiter.
 

Pars XVII

[XLIII] Quando enim me in hunc locum deduxit oratio, docebo meliora me didicisse de colendis dis inmortalibus iure pontificio et more maiorum capedunculis his, quas Numa nobis reliquit, de quibus in illa aureola oratiuncula dicit Laelius, quam rationibus Stoicorum. Si enim uos sequar, dic, quid ei respondeam, qui me sic roget : « Si di sunt, suntne etiam Nymphae deae ? Si Nymphae, Panisci etiam et Satyri ; hi autem non sunt ; ne Nymphae quidem igitur. At earum templa sunt publice uota et dedicata. Ne ceteri quidem ergo di, quorum templa sunt dedicata. Age porro : Iouem et Neptunum deum numeras ; ergo etiam Orcus frater eorum deus, et illi, qui fluere apud inferos dicuntur, Acheron, Cocytus, Pyriphlegethon ; tum Charon, tum Cerberus di putandi.
[43] Parvenu à cet endroit de mon exposé, je montrerai que le droit pontifical, les traditions de nos ancêtres, les coupes destinées aux sacrifices, que Numa nous a laissées, et dont parle Lélius dans son discours trop bref, mais qui n'en est pas moins précieux, m'ont plus instruit sur le culte des dieux immortels que les théories des Stoïciens. Si je m'accordais avec votre enseignement, dis-moi ce que je devrais répondre à celui qui me demanderait : « Si les dieux existent, les nymphes sont-elles aussi des déesses ? Si les nymphes sont des déesses, alors les faunes et les satyres sont aussi des dieux ; cependant ce ne sont pas des dieux ; alors les nymphes non plus ne sont pas des déesses. Pourtant elles possèdent des temples publiquement dédiés et consacrés. Alors ne sont pas non plus des dieux ces autres auxquels ont été dédiés des temples. Bien, alors, dis-moi : Tu ranges parmi les dieux Jupiter et Neptune. Alors également Orcus, leur frère, est un dieu, et les fleuves qui, à ce qu'on raconte, coulent dans les enfers : l'Achéron, le Cocyte, le Pyriphlégéthon, et aussi Charon, également Cerbère doivent être comptés parmi les dieux.
[XLIV] At id quidem repudiandum ; ne Orcus quidem igitur ; quid dicitis ergo de fratribus ? » Haec Carneades aiebat, non ut deos tolleret – quid enim philosopho minus conueniens –, sed ut Stoicos nihil de dis explicare conuinceret ; itaque insequebatur : « Quid enim », aiebat, « si hi fratres sunt in numero deorum, num de patre eorum Saturno negari potest, quem uolgo maxime colunt ad occidentem ? Qui si est deus, patrem quoque eius Caelum esse deum confitendum est. Quod si ita est, Caeli quoque parentes di habendi sunt Aether et Dies eorumque fratres et sorores, qui a genealogis antiquis sic nominantur – Amor, Dolus, Metus, Labor, Inuidentia, Fatum, Senectus, Mors, Tenebrae, Miseria, Querella, Gratia, Fraus, Pertinacia, Parcae, Hesperides, Somnia ; quos omnis Erebo et Nocte natos ferunt. Aut igitur haec monstra probanda sunt aut prima illa tollenda.
[44] Mais puisque cela n'est pas acceptable, Orcus n'est pas non plus un dieu ; que dire alors de ses frères ? » Voilà ce que déclarait Carnéade, non pour éliminer les dieux (quoi de moins pertinent pour un philosophe ?), mais pour démontrer que les Stoïciens ne fournissent aucune explication à leur sujet ; et il poursuivait ainsi : « Mais alors », disait-il, « si Jupiter et Neptune sont à ranger parmi les dieux, comment peut-on ôter toute divinité à leur père Saturne, qui est l'objet d'un culte populaire, notamment en occident ? Et si Saturne est un dieu, il faut admettre que son père aussi, le Ciel, est un dieu. Or s'il en est ainsi, également Éther et Jour, les géniteurs du Ciel, doivent être considérés comme des dieux, et aussi leurs frères et leurs sœurs, appelées dans les anciennes généalogies Amour, Tromperie, Peur, Fatigue, Envie, Destin, Vieillesse, Mort, Nuit, Misère, Plainte, Faveur, Fraude, Obstination, les Parques, les Hespérides, les Songes, et toutes les divinités enfants d'Érèbe et de la Nuit. Donc, ou bien on accepte ces monstres, ou bien on exclut aussi les premières divinités.
 

Pars XVIII

[XLV] Quid Apollinem, Volcanum, Mercurium, ceteros deos esse dices, de Hercule, Aesculapio, Libero, Castore, Polluce dubitabis ? At hi quidem coluntur aeque atque illi, apud quosdam etiam multo magis. Ergo hi dei sunt habendi mortalibus nati matribus. Quid Aristaeus, qui oliuae dicitur inuentor, Apollinis filius, Theseus, qui Neptuni, reliqui, quorum patres di, non erunt in deorum numero ? Quid quorum matres ? Opinor etiam magis ; ut enim iure ciuili, qui est matre libera, liber est, item iure naturae, qui dea matre est, deus sit necesse est. Itaque Achillem Astypalenses insulani sanctissume colunt ; qui si deus est, et Orpheus et Rhesus di sunt, Musa matre nati ; nisi forte maritumae nuptiae terrenis anteponuntur. Si hi di non sunt, quia nusquam coluntur, quomodo illi sunt ? »
[45] Tu soutiendras donc qu'Apollon, Vulcain, Mercure et les autres sont des dieux, mais tu émettras un doute sur la divinité d'Hercule, d'Esculape, de Liber, de Castor, de Pollux ? Mais ceux-ci sont objet de vénération autant que ceux-là et, auprès de certains peuples, de même beaucoup plus. Alors il faut estimer que ces êtres, fils de mères mortelles, sont des dieux. Que dire alors d'Aristée, fils d'Apollon, qui a découvert l'olivier, de Thésée, fils de Neptune, et de tous les autres dont les pères furent des dieux : ne doivent-ils pas être rangés au nombre des dieux ? Et les fils des déesses ? À plus forte raison il me semble : car, selon le droit civil, un fils né de mère libre est libre ; pareillement, selon le droit naturel, le fils d'une déesse est par nécessité une divinité. C'est pourquoi les habitants de l'île d'Astypalée vénèrent Achille avec la plus grande dévotion ; et si Achille est un dieu, sont dieux également Orphée et Rhésos qui naquirent d'une muse ; à moins que les noces célébrées en mer n'aient une valeur plus grande que celles célébrées à terre. Mais si ces derniers ne sont pas des dieux parce qu'ils ne sont vénérés nulle part, comment les premiers peuvent-ils l'être ? »
[XLVI] Vide igitur, ne uirtutibus hominum isti honores habeantur, non immortalitatibus ; quod tu quoque, Balbe, uisus es dicere. Quomodo autem potes, si Latonam deam putas, Hecatam non putare, quae matre Asteria est sorore Latonae ? An haec quoque dea est ? uidimus enim eius aras delubraque in Graecia. Sin haec dea est, cur non Eumenides ? Quae si deae sunt, quarum et Athenis fanumst et apud nos, ut ego interpretor, lucus Furinae, Furiae deae sunt, speculatrices, credo, et uindices facinorum et sceleris.
[46] Prends-y garde : il se pourrait que les honneurs soient attribués aux vertus des hommes et non à leur immortalité, comme il m'a paru que toi aussi, Balbus, tu en convenais. Mais comment peux-tu tenir Latone pour une divinité et non pas Hécate, alors qu'elle est la fille d'Astérie, la sœur de Latone ? Est-elle également une déesse ? Sans doute, nous avons vu ses autels et ses temples en Grèce. Mais si Hécate est une déesse, pourquoi les Euménides ne sont-elles pas des déesses ? Et si elles sont des déesses – elles possèdent un temple à Athènes et chez nous (pour autant que je me souvienne) le bois de Furina – les Furies sont des déesses, ces enquêteuses qui vengent les crimes et les forfaitures.
[XLVII] Quodsi tales dei sunt, ut rebus humanis intersint, Natio quoque dea putanda est, cui, cum fana circumimus in agro Ardeati, rem diuinam facere solemus ; quae quia partus matronarum tueatur, a nascentibus Natio nominata est. Ea si dea est, di omnes illi, qui commemorabantur a te, Honos, Fides, Mens, Concordia, ergo etiam Spes, Moneta omniaque, quae cogitatione nobismet ipsis possumus fingere. Quod si uerisimile non est,
[47] Et si la nature des dieux est telle qu'ils interviennent dans les choses humaines, Nation également doit être considérée comme une déesse ; nous avons coutume de faire des sacrifices en son honneur dans le territoire d'Ardée, lors des processions que nous effectuons autour de ses temples ; et parce qu'elle veille sur l'accouchement des femmes, elle a été appelée Nation, de « naître ». Et si c'est une déesse, sont dieux tous ceux que tu mentionnais : Honneur, Loyauté, Intelligence, Concorde, et alors aussi Espoir, Moneta, et tout ce que nous pouvons imaginer. Et si cette affirmation n'est pas vraisemblable,
 

Pars XIX

ne illud quidem est, haec unde fluxerunt. Quid autem dicis, si di sunt illi, quos colimus et accepimus, cur non eodem in genere Serapim Isimque numeremus ? Quod si facimus, cur barbarorum deos repudiemus ? Boues igitur et equos, ibis, accipitres, aspidas, crocodilos, pisces, canes, lupos, faelis, multas praeterea beluas in deorum numerum reponemus. Quae si reiciamus, illa quoque, unde haec nata sunt, reiciemus.
que penses-tu de ceci : nous rangeons parmi les dieux ceux dont le culte nous a été transmis, et que nous vénérons : pourquoi n'incluons-nous pas dans la même catégorie également Sérapis et Isis ? Et en admettant que nous le fassions, pourquoi devrions-nous rejeter les dieux des barbares ? Alors nous compterions au nombre des dieux des bœufs et des chevaux, des ibis, des faucons, des aspics, des crocodiles, des poissons, des chiens, des loups, des chats et de nombreux autres animaux. Et si nous réfutons ces affirmations, nous devons réfuter aussi celles d'où elles proviennent.
[XLVIII] Quid deinde, Ino dea ducetur et Leukothea a Graecis, a nobis Matuta dicetur, cum sit Cadmi filia, Circe autem er Pasiphae et Aeeta e Perseide Oceani filia natae patre Sole in deorum numero non habebuntur ? Quamquam Circen quoque coloni nostri Cercienses religiose colunt. Ergo hanc deam ducis : quid Medeae respondebis, quae duobus dis auis, Sole et Oceano, Aeeta patre, matre Idyia procreata est, quid huius Absyrto fratri – qui est apud Pacuuium Aegialeus, sed illud nomen ueterum litteris usitatius ? Qui si di non sunt, uereor, quid agat Ino ; haec enim omnia ex eodem fonte fluxerunt.
[48] Ino, qui est appelée Leucothée en Grèce et Matuta chez nous, sera considérée comme une déesse, parce qu'elle est la fille de Cadmus, alors que Circé, Pasiphaé et Éétès issus de Perséis, fille d'Océan, et du Soleil, ne seront pas comptés parmi les dieux. Et pourtant nos colons de Circeii vénèrent avec dévotion aussi Circé. Alors devrons-nous la considérer aussi comme est une déesse ? Que répondras-tu à Médée, qui eut comme père Éétès, comme mère Idyia et comme grands-pères deux dieux : Soleil et Océan ? Et à son frère Absyrtos (que Pacuvius appelle Égialé, mais le premier nom est le plus courant dans la littérature antique) ? Et s'ils ne sont pas des dieux, je me demande ce que devient Ino : tous ont la même origine.
[XLIX] An Amphiataus erit deus et Trophonius ? Nostri quidem publicani, cum essent agri in Boeotia deorum inmortalium excepti lege censoria, negabant inmortalis esse ullos, qui aliquando homines fuissent. Sed si sunt hi di, est certe Erectheus, cuius Athenis et delubrum uidimus et sacerdotem. Quem si deum facimus, quid aut de Codro dubitare possumus aut de ceteris, qui pugnantes pro patriae libertate ceciderunt ? Quod si probabile non est, ne illa quidem superiora, unde haec manant, probanda sunt.
[49] Amphiaraos et Trophonios sont-ils des dieux ? Nos publicains, face au contrat établi avec les censeurs, qui exemptait d'impôts les propriétés des dieux immortels, soutenaient que ne pouvait pas être tenu pour un dieu celui qui, autrefois, avait été un mortel. Mais si ce sont des dieux, Érechthée en est sûrement un, lui dont nous avons vu à Athènes le temple et le prêtre. Et si nous faisons de lui un dieu, comment pouvons-nous douter de la divinité de Codros et des autres qui sont tombés en combattant pour la liberté de leur patrie ? Et si cette conclusion n'est pas acceptable, ne le sont pas non plus les prémisses d'où elle découle.
[L] Atque in plerisque ciuitatibus intellegi potest augendae uirtutis gratia, quo libentius rei publicae causa periculum adiret optimus quisque, uirorum fortium memoriam honore deorum immortalium consecratam. Ob eam enim ipsam causam Erectheus Athenis filiaeque eius in numero deorum sunt, itemque Leonaticuml est delubrum Athenis, quod Leokorion nominatur. Alabandenses quidem sanctius Alabandum colunt, a quo est urbs illa condita, quam quemquam nobilium deorum ; apud quos non inurbane Stratonicus ut multa, cum quidam ei molestus Alabandum deum esse confirmaret, Herculem negaret, « ergo », inquit, « mihi Alabandus, tibi Hercules sit iratus ».
[50] Il est du reste compréhensible que dans la plupart des cités, pour exciter le courage, et pour que les hommes appartenant à l'élite soient davantage enclins à affronter le danger pour la défense de l'État, on rende les honneurs divins à la mémoire des héros. De fait, c'est précisément pour cette raison, à Athènes, qu'Érechthée et ses filles ont été comptées parmi les dieux ; et, toujours, à Athènes on trouve le sanctuaire des filles de Léon, dit Leokórion. Les Alabandins vénèrent Alabandos, fondateur de leur cité, avec une dévotion supérieure à celle qu'ils accordent aux dieux les plus authentiques. Se trouvant dans leur cité, Stratonicus fit une de ces réponses, pleine d'esprit, comme il en a l'habitude, à l'un d'eux qui l'importunait en affirmant qu'Alabandos était un dieu et qu'Hercule n'en était pas un : « Alors Alabandos sera en colère contre moi et Hercule contre toi. »
 

Pars XX

[LI] Illa autem, Balbe, quae tu a caelo astrisque ducebas, quam longe serpant, non uides : solem deum esse lunamque, quorum alterum Apollinem Graeci, alteram Dianam putant. Quod si luna dea est, ergo etiam Lucifer ceteraeque errantes numerum deorum optinebunt ; igitur etiam inerrantes. Cur autem arci species non in deorum numero reponatur ; est enim pulcher et ob eam speciem, quia causam habeat admirabilem, Thaumante dicitur Iris esse nata. Cuius si diuina natura est, quid facies nubibus ; arcus enim ipse e nubibus efficitur quodam modo coloratis ; quarum una etiam Centauros peperisse dicitur. Quod si nubes retuleris in deos, referendae certe erunt tempestates, quae populi Romani ritibus consecratae sunt. Ergo imbres, nimbi, procellae, turbines dei putandi ; nostri quidem duces mare ingredientes inmolare hostiam fluctibus consuerunt.
[51] Et ces arguments que toi, Balbus, tire du ciel et des astres, tu ne te rends pas compte de l'étendue de leur portée. Le soleil et la lune – les Grecs pensent que l'une est Artémis et l'autre Apollon –, sont des dieux. Mais si la lune est une déesse, alors Lucifer aussi, et les autres étoiles vagabondes doivent être comptées parmi les dieux ; et alors aussi les étoiles fixes. Pourquoi n'inclut-on pas parmi les dieux également l'arc-en-ciel, puisqu'il est beau – et précisément en raison de sa beauté on lui attribue une extraordinaire, et on fait de lui le fils de Thaumas ? Et si l'arc-en-ciel a une nature divine, que feras-tu avec les nuages ? L'arc-en-ciel lui-même est en effet, d'une certaine manière, produit par des nuées colorées ; on raconte aussi que l'une d'elles engendra les Centaures ; si on inclut les nuages parmi les dieux, il va de soi qu'on inclura aussi les phénomènes météorologiques que les Romains honorent à travers leurs rites. Alors également la pluie, les orages, les tempêtes, les tornades doivent être considérés comme des dieux ; nos généraux, au moment de prendre la mer, eurent coutume d'immoler aux flots une victime.
[LII] Iam si est Ceres a gerendo – ita enim dicebas –, terra ipsa dea est et ita habetur ; quae est enim alia Tellus ; sin terra, mare etiam, quem Neptunum esse dicebas ; ergo et flumina et fontes. Itaque et Fontis delubrum Masso ex Corsica dedicauit, et in augurum precatione Tiberinum, Spinonem, Anemonem, Nodinum, alia propinquorum fluminum nomina uidemus. Ergo hoc aut in inmensum serpet aut nihil horum recipiemus ; nec ilIa infinita ratio superstitionis probabitur ; nihil ergo horum probandum est.
[52] En outre, si Cérès vient de gero [je produis] (ainsi que tu l'affirmais), la terre elle-même est une déesse – n'étant qu'une variante de Tellus, elle est considérée comme telle ; mais si la terre est une déesse, est aussi un dieu l'océan que tu identifiais avec Neptune ; alors également les fleuves et les fontaines sont des dieux. Et ainsi Massus, à son retour de Corse, consacra aussi un temple à Fons, et dans les prières des augures figurent les noms de Tibérinus, de Spinonus, d'Anémona, de Nodinus et d'autres fleuves voisins. En conséquence, ou bien nous poursuivrons ce raisonnement à l'infini, ou bien nous refuserons tout en bloc. Et comme nous n'accepterons pas cette liste infinie de superstitions, mieux vaut ne rien admettre de tout cela.
 

Commentaires d'Ugo Bratelli

Paragraphe 27

C'est une allusion à la doctrine de Pythagore, sur l'harmonie du monde.

Paragraphe 35

Héraclite, le premier, plaça le feu comme origine de toutes les choses.

« Vous » désigne les Stoïciens.

Paragraphe 38

Le dieu de la sagesse est présenté par exemple dans le De finibus (I, 46-53) et les Tusculanes (III, 17).

Paragraphe 39

Le poisson vénéré par les Syriens fait allusion à la déesse Atargatis, dont le temple se trouvait à Hiérapolis, en Syrie.

Alabanda est une ville de Carie. Alabandos est le fils de Car et de Callirhoé.

Ténédos est une île d'Asie mineure, qui fait face à Troie, fondée par Ténès (qui sera tué par Achille), fils d'Apollon. Sœur de Ténès, Leucothée avait un culte à Ténédos. Ino, fils de Cadmos, était la femme d'Athamas. Celui-ci, devenu fou, chercha à tuer son épouse et son fils. Ino se jeta dans la mer avec son enfant Mélicerte. Leucothée devint Ino et Mélicerte Palémon. Les Romains identifièrent Palémon avec Portunus.

Paragraphe 40

L'impossibilité de réfutation des théories « si remarquables » est, bien entendu, une ironie de Cotta.

Paragraphe 42

Le quatrième Hercule, à Tyr, est identifié avec Melcarth, dieu sémite.

Paragraphe 43

Chez les Romains, avant l'influence grecque, l'Orcus désignait, à l'instar de Dis, le monde des morts, l'empire souterrain – croyance probablement héritée des Étrusques. Par extension, Orcus désigna le dieu des enfers, Pluton.

L'Achéron, le Cocyte et le Pyriphlégéthon sont trois fleuves des Enfers. Le quatrième est le Styx.

Fils de l'Érèbe et de la Nuit, Charon était le nocher qui, dans sa barque, faisait traverser aux âmes des morts l'Achéron, le Styx et les autres fleuves qui menaient aux Enfers.

Gardien des Enfers, le chien monstrueux qu'est Cerbère est l'enfant de Typhon et d'Échidna. Si les auteurs anciens l'ont décrit comme une créature à cinquante (Hésiode) ou cent têtes (Pindare), à la voix d'airain, la tradition lui attribue généralement trois têtes, une queue de serpent et des couleuvres autour du cou.

Paragraphe 45

Aristée est le fils d'Apollon et de Cyrène. Les Muses lui enseignèrent l'art de cultiver les olives.

Orphée est le fils d'Œagre et de Calliope, poète et musicien. Il fit partie des Argonautes et demeure surtout connu pour sa légende avec Eurydice, qu'il retourna chercher aux Enfers.

Rhésos est le fils du fleuve Strymon et d'une muse.

Achille est fils de la Néréide Thétis.

Paragraphe 46

Hécate est, selon les auteurs, tantôt la fille d'Hadès et de Déméter, tantôt celle de Zeus et de Léto, tantôt celle de la Nuit , tantôt celle, unique, du Titan Persès et d'Astérie. Mariée à Phorcys, elle fut la mère de Scylla.

Les Euménides sont les Érinyes, déesses monstrueuses grecques de la vengeance que les Romains identifièrent aux Furies. Leur temple est à Colone, la ville blanche proche d'Athènes où Sophocle est né et Œdipe passa.

Furina est une divinité romaine très ancienne dont les attributions restent inconnues, et qui néanmoins avait son flamine, flamen furinalis, son bois sacré, lucus furinae, et une fête le 25 juillet, furinalia.

Paragraphe 47

Nation est une divinité citée nulle part ailleurs, à ma connaissance.

Honneur eut un temple consacré en 233, après la victoire romaine sur les Ligures ; Intelligence aussi, en 215, pour conjurer la défaite du lac Trasimène.

Le temple de Junon Moneta fut dédié en 344 av. J.-C. sur le Capitole. Cette épithète, appliquée à Junon, viendrait, d'après certains passages de Tite-Live, de Cicéron et d'Ovide, du latin monere (conseiller, avertir), en raison des conseils que la déesse prodigua à maintes reprises aux Romains.

Sérapis est une divinité gréco-égyptienne, diversement identifiée avec Osiris, Apis, Zeus, Pluton, Asclépios. Isis fut identifiée avec la Terre et Io. Son temple fut construit à Rome en 43 av. J.-C., alors que les premiers sacrifices en son honneur remontent à 48.

Paragraphe 48

Pasiphaé est la fille d'hélios et de Perséis, sœur de Circé.

Éétès est le frère de Pasiphaé, père de Médée et d'Absyrtos.

Absyrtos est le frère de Médée. Il fut mis en morceaux par sa sœur, qui s'enfuyait avec Jason ; elle espérait ainsi que son père, lancé à leur poursuite, perdît du temps à rassembler les membres de son fils. Ce qui advint effectivement.

Paragraphe 49

Amphiaraos est le fils d'Oïclès, ou d'Apollon et d'Hypermnestre, Amphiaraos est un guerrier et un devin d'Argos. Il participa à de nombreuses aventures mythiques, comme la chasse au sanglier de Calydon et à l'expédition des Argonautes. Il fut englouti par la terre. Après quoi il eut son oracle, à Oropos.

Avec Agamède, Trophonios construisit le temple d'Apollon à Delphes. Il avait son oracle à Lébadée.

L'événement relaté dans ce paragraphe survint en 73. Les habitants d'Oropos envoyèrent à Rome trois représentants pour protester contre les taxes imposées par les publicains sur les propriétés du sanctuaire d'Amphiaraos ; ils leur opposaient un décret de Sylla qui exemptait d'impôts les biens sacrés. Les publicains répondirent que le décret ne pouvait s'appliquer pour la simple raison qu'Amphiaraos avait été un mortel. La commission, chargée de trancher le litige, dont Cicéron faisait partie, accorda la dispense. À noter que la référence à cet événement constitue un anachronisme, puisque le dialogue se situe aux alentours de 75 av. J.-C.

Érechthée est un roi d'Athènes. Ses trois filles, obéissant à un oracle, se suicidèrent pour le salut de la patrie.

Codros, roi d'Athènes, se fit volontairement tuer, sachant qu'un oracle avait promis la victoire des ennemis s'il demeurait en vie.

Paragraphe 50

Léon sacrifia ses trois filles, afin de mettre fin à la famine qui décimait Athènes.

Paragraphe 51

Thaumas, fils de Pontos et de Gaia, épousa l'Océanide Électre. Il est le père d'Iris, messagère des dieux, et des Harpyes.

Paragraphe 52

Tellus est une vieille divinité romaine, identifiée à la Terre.

Tibérinus est le dieu du Tibre.

 

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