De natura deorum – Liber III (XXI à XXX)

Document PDF à télécharger Ugo Bratelli, participant actif aux forums de langues anciennes, est l'auteur de la traduction du troisième livre du De natura deorum, traduction française qui est d'ailleurs la première depuis plus d'un demi-siècle !
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Pars XXI

[LIII] Dicamus igitur, Balbe, oportet contra illos etiam, qui hos deos ex hominum genere in caelum translatos non re, sed opinione esse dicunt, quos auguste omnes sancteque ueneramur. Principio Ioues tres numerant ii, qui theologi nominantur, ex quibus primum et secundum natos in Arcadia ; alterum patre Aethere, ex quo etiam Proserpinam natam ferunt et Liberum, alterum patre Caelo, qui genuisse Mineruam dicitur, quam principem et inuentricem belli ferunt ; tertium Cretensem Saturni filium ; cuius in illa insula sepulcrum ostenditur. Dioscoroe etiam apud Graios multis modis nominantur : primi tres, qui appellantur Anactes Athenis, ex rege Ioue antiquissimo et Proserpina nati Tritopatreus, Eubuleus, Dionysus ; secundi Ioue tertio nati et Leda, Castor et Pollux ; tertii dicuntur a nonnullis Alco et Melampus et Tmolus, Atrei filii, qui Pelope natus fuit.
[53] Donc, Balbus, il est nécessaire de réfuter aussi ceux qui affirment que les dieux, qui furent des hommes transportés au ciel, et que nous vénérons avec solennité et dévotion, n'existent pas dans la réalité mais dans l'imagination. En premier lieu, les prétendus mythographes dénombrent trois Jupiter ; de ceux-ci, les deux premiers naquirent en Arcadie ; l'un eut comme père Éther, père également, dit-on, de Proserpine et de Liber ; l'autre eut comme père le Ciel, et on dit qu'il a engendré Minerve qui, suivant la tradition, est l'initiatrice et l'inventrice de la guerre ; le troisième Jupiter fut Crétois, fils de Saturne. Son tombeau est visible dans son île natale. Les Dioscures aussi reçoivent de nombreux noms en Grèce : les premiers sont au nombre de trois, les Athéniens les appellent Anactès ; ils sont les fils du plus ancien Jupiter et de Proserpine : Tritopatréus, Eubuléus, Dionysus ; les deuxièmes sont Castor et Pollux, fils du troisième Jupiter et de Léda ; les troisièmes sont appelés par certains Alcon, Mélampus et Tmolus, et ce sont les fils d'Atrée issu de Pélops.
[LIV] Iam Musae primae quattuor Ioue altero, Thelxinoe, Aoede, Arche, Melete ; secundae Ioue tertio et Mnemosyne procreatae nouem ; tertiae Piero natae et Antiopa, quas Pieridas et Pierias solent poetae appellare, isdem nominibus et eodem numero, quo proxumae superiores. Cumque tu solem, quia solus esset, appellatum esse dicas, Soles ipsi quam multi a theologis proferuntur. Unus eorum Ioue natus nepos Aetheris ; alter Hyperione ; tertius Volcano Nili filio, cuius urbem Aegyptii uolunt esse eam, quae Heliopolis appellatur ; quartus is, quem heroicis temporibus Acantho Rhodi peperisse dicitur, pater Ialysi, Camiri, Lindi, unde Rhodii ; quintus, qui Colchis fertur Aeetam et Circam procreauisse.
[54] Pour ce qui est des Muses, le premier groupe en comprend quatre : elles sont les filles du deuxième Jupiter : Telxinoé, Aédé, Arché, Mélété. Le deuxième groupe en comprend neuf ; elles furent engendrées par le troisième Jupiter et Mnémosyne ; le troisième groupe est celui des filles de Piérus et d'Antiope (les poètes les appellent ordinairement Piérides et Piéries), elles sont en nombre égal aux précédentes et portent les mêmes noms. Tu expliques que le soleil tire son nom du fait qu'il est seul [solus] ; mais que de soleils sont cités par les mythographes ! Le premier est le fils de Jupiter, petit-fils d'Éther, le deuxième est le fils d'Hypérion, le troisième est le fils de Vulcain, fils du Nil (les Égyptiens lui attribuent la ville d'Héliopolis), le quatrième est celui qui, selon la tradition, fut engendré dans les temps héroïques, à Rhodes, par Acanthos, père de Ialysos, de Camiros, de Lindos, les chefs de file du peuple Rhodien ; le cinquième est celui qui, suivant la tradition, engendra Éétès et Circé en Colchide.
 

Pars XXII

[LV] Volcani item complures : primus Caelo natus, ex quo et Minerua Apollinem eum, cuius in tutela Athenas antiqui historici esse uoluerunt ; secundus Nilo natus Opas, ut Aegyptii appellant, quem custodem esse Aegypti uolunt ; tertius ex tertio Ioue et Iunone, qui Lemni fabricae traditur praefuisse ; quartus Maemalio natus, qui tenuit insulas propter Siciliam, quae Volcaniae nominantur.
[55] De la même façon, il y a de nombreux Vulcain : le premier est le fils du Ciel ; de lui et de Minerve, selon les historiens anciens, naquit Apollon protecteur d'Athènes ; le deuxième, fils du Nil, est appelé Opas par les Égyptiens, qui le considèrent comme le protecteur de l'Égypte ; le troisième est le fils du troisième Jupiter et de Junon et, suivant la tradition, il dirigea la forge de Lemnos ; le quatrième est le fils de Maémalius et résida dans les îles voisines de la Sicile, les Vulcanies.
[LVI] Mercurius unus Caelo patre, Die matre natus, cuius obscenius excitata natura traditur, quod aspectu Proserpinae commotus sit ; alter Valentis et Phoronidis filius is, qui sub terris habetur idem Trophonius ; tertius Ioue tertio natus et Maia, ex quo et Penelopa Pana natum ferunt ; quartus Nilo patre, quem Aegyptii nefas habent nominare ; quintus, quem colunt Pheneatae, qui Argum dicitur interemisse ob eamque causam in Aegyptum profugisse atque Aegyptiis leges et litteras tradidisse : hunc Aegyptii Theyt appellant eodemque nomine anni primus mensis apud eos uocatur.
[56] Pour ce qui concerne Mercure, le premier a pour père le Ciel et pour mère le Jour, et, d'après la tradition, pour avoir été frappé par la vue de Proserpine, il fut saisi d'une frénésie obscène ; le deuxième, fils de Valens et de Phoronée, vit sous terre, et il est identifié à Trophonios ; le troisième est le fils du troisième Jupiter et de Maia ; de lui et de Pénélope, suivant la tradition, naquit Pan ; le quatrième eut pour père le Nil, et les Égyptiens considèrent comme une impiété de prononcer son nom ; le cinquième est vénéré à Phénée : on raconte qu'il tua Argus et, pour cette raison, il se réfugia en Égypte et donna aux Égyptiens leurs lois et l'alphabet ; les Égyptiens l'appellent Thôt, nom par lequel ils désignent aussi le premier mois de l'année.
[LVII] Aesculapiorum primus Apollinis, quem Arcades colunt, qui specillum inuenisse primusque uolnus dicitur obligauisse ; secundus secundi Mercuri frater : is fulmine percussus dicitur humatus esse Cynosuris ; tertius Arsippi et Arsinoae, qui primus purgationem alui dentisque euolsionem, ut ferunt, inuenit, cuius in Arcadia non longe a Lusio flumine sepulcrum er lucus ostenditur.
[57] Parmi les nombreux Esculape, le premier est fils d'Apollon, il est vénéré par les Arcadiens et on dit qu'il inventa la sonde et qu'il fut le premier à panser les plaies ; le deuxième est le frère du deuxième Mercure : on raconte qu'il fut frappé par la foudre et enseveli à Cynosura ; le troisième est fils d'Arsippé et d'Arsinoé et, selon la tradition, il est à l'origine des purges et de l'extraction des dents ; en Arcadie, non loin du fleuve Lousius, on montre son sépulcre et son bois sacré.
 

Pars XXIII

Apollinum antiquissimus is, quem paulo antea e Volcano natum esse dixi custodem Athenarum ; alter Corybantis filius natus in Creta, cuius de illa insula cum Ioue ipso certamen fuisse traditur ; tertius Ioue tertio natus et Latona, quem ex Hyperboreis Delphos ferunt aduenisse ; quartus in Arcadia, quem Arcades Nomion appellant, quod ab eo se leges ferunt accepisse.
Parmi les Apollon, le plus ancien est celui qui, comme je l'ai dit tout à l'heure, est fils de Vulcain et protecteur d'Athènes ; le deuxième, né en Crète, de Corybas, est celui qui, suivant la tradition, lutta avec Jupiter en personne pour la possession de cette île ; le troisième, fils du troisième Jupiter et de Latone, vint à Delphes, dit-on, du pays des Hyperboréens ; le quatrième se trouve en Arcadie ; on raconte que les Arcadiens l'appellent Nomion car c'est de lui qu'ils reçurent leurs lois.
[LVIII] Dianae item plures : prima Iouis et Proserpinae, quae pinnatum Cupidinem genuisse dicitur ; secunda notior, quam Ioue tertio et Latona natam accepimus ; tertiae pater Upis traditur, Glauce mater : eam saepe Graeci Upim paterno nomine appellant. Dionysos multos habemus : primum Ioue et Proserpina natum ; secundum Nilo, qui Nysam dicitur interemisse ; tertium Cabiro patre, eumque regem Asiae praefuisse dicunt, cui Sabazia sunt instituta ; quartum Ioue et Luna, cui sacra Orphica putantur confici ; quintum Nyso natum et Thyone, a quo trieterides constitutae putantur.
[58] De la même façon, il y a plusieurs Diane : la première, fille de Jupiter et de Proserpine passe pour la mère de Cupidon ailé ; la deuxième, plus connue, fut, suivant la tradition, la fille du troisième Jupiter et de Latone ; à la troisième, la tradition attribue comme père Upis et comme mère Glaucé ; les Grecs l'appellent souvent Upis, du nom de son père. Nous avons beaucoup de Dionysos : le premier est fils de Jupiter et de Proserpine ; le deuxième est le fils du Nil et on raconte qu'il tua Nysa ; le troisième eut pour père Cabyros et, à ce que l'on rapporte, il fut roi d'Asie, et en son honneur furent institués les Mystères de Sabazios ; le quatrième est fils de Jupiter et de la Lune et on pense qu'en son honneur les mystères orphiques lui sont consacrés ; le cinquième naquit de Nysos et de Thyoné ; on croit qu'il institua les triétérides.
[LIX] Venus prima Caelo et Die nata, cuius Eli delubrum uidimus ; altera spuma procreata, ex qua et Mercurio Cupidinem secundum natum accepimus ; tertia Ioue nata et Diona, quae nupsit Volcano, sed ex ea et Marte natus Anteros dicitur ; quarta Syria Cyproque concepta, quae Astarte uocatur, quam Adonidi nupsisse proditum est. Minerua prima, quam Apollinis matrem supra diximus ; secunda orta Nilo, quam Aegyptii Saietae colunt ; tertia ilIa, quam a loue generatam supra diximus ; quarta Ioue nata et Coryphe Oceani filia, quam Arcades Korian nominant et quadrigarum inuentricem ferunt ; quinta Pallantis, quae patrem dicitur interemisse uirginitatem suam uiolare conantem, cui pinnarum talaria adfigunt.
[59] La première Vénus est fille de Ciel et de Jour – nous avons vu son temple à Élis ; la deuxième fut engendrée par l'écume ; d'elle et de Mercure, suivant la tradition, naquit le deuxième Cupidon ; la troisième est fille de Jupiter et de Dioné ; elle épousa Vulcain, mais on dit que de son union avec Mars naquit Antéros ; la quatrième, conçue par Syrie et Chypre, porte le nom d'Astarté et, suivant la tradition, elle épousa Adonis. La première Minerve, comme nous l'avons dit plus haut, est la mère d'Apollon, la deuxième est la fille du Nil et elle est vénérée par les Égyptiens de Saïs, la troisième est la fille de Jupiter, et d'elle nous avons déjà parlé tout à l'heure ; la quatrième est fille de Jupiter et de Coryphée, fille d'Océan, appelée Koria par les Arcadiens et, suivant la tradition, elle inventa les quadriges ; la cinquième est la fille de Pallas, elle aurait tué son père qui tentait de lui ravir sa virginité ; on la représente avec des sandales ailées.
[LX] Cupido primus Mercurio et Diana prima natus dicitur ; secundus Mercurio et Venere secunda ; tertius, qui idem est Anteros, Marte et Venere tertia. Atque haec quidem et alia eius modi ex uetere Graeciae fama collecta sunt. Quibus intellegis resistendum esse, ne perturbentur religiones ; uestri autem non modo haec non refellunt, uerum etiam confirmant interpretando, quorsum quidque pertineat. Sed eo iam, unde huc digressi sumus, reuertamur.
[60] Le premier Cupidon est, dit-on, le fils de Mercure et de la première Diane, le deuxième de Mercure et de la deuxième Vénus ; le troisième, identifié avec Antéros, de Mars et de la troisième Vénus. Ces histoires et d'autres semblables proviennent de l'ancienne tradition grecque. Tu comprends qu'il faut s'y opposer afin que le sentiment religieux n'en soit pas perturbé ; or les Stoïciens, non seulement ne les réfutent pas, mais ils leur donnent du crédit en cherchant une interprétation au sens de chacune d'elles. Mais revenons au point où nous avons commencé cette digression.
 

Pars XXIV

[LXI] Num censes igitur suptiliore ratione opus esse ad haec refellenda ? Nam mentem fidem, spem, uirtutem, honorem, uictoriam, salutem, concordiam ceteraque huiusmodi rerum uim habere uidemus, non deorum. Aut enim in nobismet insunt ipsis, ut mens, ut spes, ut fides, ut uirtus, ut concordia, aut optandae nobis sunt, ut honos, ut salus, ut uictoria ; quarum rerum utilitatem uideo, uideo etiam consecrata simulacra ; quare autem in iis uis deorum insit, tum intellegam, cum ex te cognouero. Quo in genere uel maxime est fortuna numeranda, quam nemo ab inconstantia et temeritate seiunget, quae digna certe non sunt deo.
[61] Crois-tu donc nécessaire une argumentation plus subtile pour réfuter ces croyances ? Il est évident que l'intelligence, la loyauté, l'espérance, la vertu, l'honneur, la victoire, le salut, la concorde, etc., sont des abstractions, pas des divinités. Ou bien elles sont en nous (comme l'intelligence, l'espérance, la loyauté, la vertu, la concorde), ou bien elles sont l'objet de nos désirs (comme l'honneur, le salut, la victoire) ; j'en vois certes l'utilité, je vois aussi des statues qui leur sont consacrées, mais la raison pour laquelle il y aurait une nature divine en eux, je la comprendrai quand elle me sera expliquée. Dans cette deuxième catégorie, il faut inclure notamment la Fortune, dont les caractéristiques sont, dans l'esprit de chacun, liées à l'instabilité et à la casualité, notions assurément peu dignes d'un dieu.
[LXII] lam uero quid uos illa delectat explicatio fabularum et enodatio nominum ? Exsectum a filio Caelum, uinctum itidem a filio Saturnum, haec et alia generis eiusdem ita defenditis, ut ii, qui ista finxerunt, non modo non insani, sed etiam fuisse sapientes uideantur. In enodandis autem nominibus, quod miserandum sit, laboratis : « Saturnus, quia se saturat annis ; Mauors, quia magna uertit ; Minerua, quia minuit aut quia minatur ; Venus, quia uenit ad omnia ; Ceres a gerendo. » Quam periculosa consuetudo. In multis enim nominibus haerebitis : quid Veioui facies, quid Volcano ? Quamquam, quoniam Neptunum a nando appellatum putas, nullum erit nomen, quod non possis una littera explicare, unde ductum sit ; in quo quidem magis tu mihi natare uisus es quam ipse Neptunus.
[62] Mais dis-moi : quel plaisir trouvez-vous dans l'interprétation des mythes, dans l'étymologie des noms ? Ciel fut mutilé par son fils ; dans le même genre, Saturne fut enchaîné par son fils ; vous défendez ces légendes, et d'autres semblables, de manière que ceux qui les ont inventées, non seulement ne paraissent pas avoir été fous, mais vraiment sages. Dans votre effort d'interpréter le sens lointain des noms, votre peine fait vraiment pitié : « Saturne, parce qu'il se sature d'années, Mavors parce qu'il renverse de grandes choses, Minerve parce qu'elle diminue ou menace, Vénus parce qu'elle vient à toute chose, Cérès, du verbe gerere [produire]. » Quelle dangereuse habitude ! Dans bien des cas, vous vous trouverez en difficulté. Que ferez-vous avec « Veiovis » et avec « Vulcain » ? Toutefois, étant donné que tu penses que le nom de Neptune vient de « nare » [nager], il ne sera plus aucun nom dont on ne puisse expliquer l'origine à partir d'une seule lettre ; franchement, il m'a paru là que tu nageais plus que Neptune lui-même.
[LXIII] Magnam molestiam suscepit et minime necessariam primus Zeno, post Cleanthes, deinde Chrysippus, commenticiarum fabularum reddere rationem, uocabulorum, cur quidque ita appellatum sit, causas explicare. Quod cum facitis, illud profecto confitemini, longe aliter se rem habere, atque hominum opinio sit ; eos enim, qui di appellantur, rerum naturas esse non figuras deorum.
[63] Bien grande a été la peine, et inutile, de Zénon tout d'abord, puis de Cléanthe, et enfin de Chrysippe, pour fournir une justification rationnelle à ces récits fantaisistes, et pour expliquer la raison qui lie la chose et le nom qui la désigne. Vous admettez implicitement que les choses sont bien différentes de ce qu'en pensent les hommes, puisque les prétendus dieux sont des faits de la nature, non des figures divines.
 

Pars XXV

Qui tantus error fuit, ut perniciosis etiam rebus non modo nomen deorum tribueretur, sed etiam sacra constituerentur. Febris enim fanum in Palatio et Orbonae ad aedem Larum et aram Malae Fortunae Exquiliis consecratam uidemus.
Cette erreur a pris des proportions telles que non seulement fut attribué le nom de dieux aux entités nuisibles mais que des cultes furent institués en leur honneur; nous voyons le temple de la Fièvre sur le Palatin et celui d'Orbona à côté du temple des Lares, et l'autel consacré à la Mauvaise Fortune sur l'Esquilin.
[LXIV] Omnis igitur talis a philosophia pellatur error, ut, cum de dis inmortalibus disputemus, dicamus digna dis inmortalibus. De quibus habeo ipse, quid sentiam, non habeo autem, quid tibi adsentiar. Neptunum esse dicis animum cum intellegentia per mare pertinentem, idem de Cerere ; istam autem intellegentiam aut maris aut terrae non modo comprehendere animo, sed ne suspicione quidem possum attingere. Itaque aliunde mihi quaerendum est, ut et esse deos, et quales sint dii, discere possim, quoniam, qualis tu eos esse uis, agnoscere non possum.
[64] C'est pourquoi il faut bannir de la philosophie toute erreur de ce genre, de façon que, quand nous parlons des dieux immortels, nous disions des choses dignes des dieux immortels. J'ai ma propre idée sur eux, mais je ne vois pas comment elle pourrait s'accorder avec la tienne. D'après toi, Neptune est un esprit intelligent répandu dans la mer, et ce serait à peu près la même chose pour Cérès ; or moi, cette intelligence de la mer et de la terre, non seulement je ne réussis pas à la comprendre avec ma raison, mais je ne parviens même pas à m'en faire une idée. Il me faut donc chercher ailleurs si je veux avoir la preuve que les dieux existent, et des éclaircissements sur leur nature telle que tu la conçois.
[LXV] Videamus ea, quae secuntur : primum deorumne prudentia mundus regatur ; deinde, consulantne di rebus humanis. Haec enim mihi ex tua partitione restant duo ; de quibus si uobis uidetur, accuratius disserendum puto. « Mihi uero », inquit Velleius, « ualde uidetur ; nam et maiora expecto et is, quae dicta sunt, uehementer adsentior. » Tum Balbus « Interpellare te », inquit, « Cotta nolo, sed sumemus tempus aliud ; efficiam profecto, ut fateare ». Sed [*] « Nequaquam istuc istac ibit ; magna inest certatio. Nam ut ego illi supplicarem tanta blandiloquentia, ni ob rem ? »

[65] Considérons les points suivants, tout d'abord si le monde est gouverné par la providence divine, ensuite si les dieux veillent aux choses humaines. Restent en effet ces deux questions parmi celles que tu as citées. J'estime, si vous êtes d'accord, qu'il faut en discuter avec attention. « Pour ma part, déclare Velléius, je suis pleinement d'accord : en effet, je m'attends à un discours de plus grande importance et j'approuve sans condition tout ce qui a été dit. » Alors Balbus : « Cotta, je ne veux pas t'interrompre, je me réserve de t'interroger à un autre moment ; je t'amènerai sûrement à approuver ce que je pense. Mais [lacune] ».

[Il ne faut pas discuter en public de ces sujets pour ne pas détruire le culte de l'état.
Tout d'abord, donc, il est improbable que cette matière, d'où toute chose est née, ait été créée par la providence divine ; il semble plutôt qu'elle ait et qu'elle ait eu une force et une nature propres. Quand un architecte s'apprête à édifier quelque chose, il ne crée pas la matière première, il se sert d'une matière déjà prête, tout comme un modeleur utilise la cire ; ainsi, de la même façon, il a été nécessaire que cette providence divine dispose d'une matière qu'elle n'avait pas créée, mais qu'elle trouvait déjà prête. Mais si la matière n'a pas été créée par dieu, la terre non plus, ni l'eau, ni l'air ni le feu n'ont été créés par dieu.
Les serpents naissent de la moëlle ; sur Cléomène Lacédémonien.
Les hommes sont supérieurs à tous les autres êtres vivants.]

« Les choses n'iront absolument pas de cette façon ; une grande lutte est imminente. L'aurais-je supplié par des paroles flatteuses, si je n'y trouvais pas mon compte ? »

 

Pars XXVI

[LXVI] Parumne ratiocinari uidetur et sibi ipsa nefariam pestem machinari ? Illud uero quam callida ratione : « Qui uolt, quod uolt, ita dat se res, ut operam dabit », qui est uersus omnium seminator malorum. « Ille trauersa mente mihi hodie tradidit repagula, quibus ego iram omnem recludam atque illi perniciem dabo ; mihi maerores, illi luctum, exitium illi, exilium mihi. » Hanc uidelicet rationem, quam uos diuino beneficio homini solum tributam dicitis, bestiae non habent ;
[66] Ne te semble-t-il pas qu'elle manque de réflexion, et qu'elle ne se prépare pas à soi-même un terrible désastre ? Mais ensuite, que de subtilité dans ses paroles : « À celui qui veut ce qu'il veut, les choses se présentent comme lui-même le voudra. » Cette maxime est la source de tous les maux. « Aujourd'hui celui-là, qui a perdu la raison, m'a ouvert les portes : je libérerai toute ma rage, et je le détruirai ; pour moi ce sera la douleur, pour lui le deuil ; pour lui la mort, pour moi l'exil. » Il est clair que cette faculté de raisonner, que vous dites attribuée aux seuls hommes par la volonté divine, les bêtes en sont dépourvues ;
[LXVII] uidesne igitur, quanto munere deorum simus adfecti ? Atque eadem Medea patrem patriamque fugiens, « postquam pater adpropinquat iamque paene, ut conprehendatur, parat, puerum interea optruncat membraque articulatim diuidit perque agros passim dispergit corpus : id ea gratia, ut, dum nati dissipatos artus captaret parens, ipsa interea effugeret, illum ut maeror tardaret sequi, sibi salutem ut familiari pareret parricidio ».
[67] voyez alors quel bienfait les dieux nous ont accordé ? Et même Médée, que fait-elle, alors qu'elle fuit son père et sa patrie : « Quand son père s'approche d'elle et qu'il s'apprête à la saisir, elle tue l'enfant, en découpe le corps membre après membre et le disperse ici et là à travers les champs, dans cette intention : pouvoir fuir tandis que son père rassemble les membres éparpillés de son fils, faire en sorte que la douleur le retarde dans sa poursuite, gagner son salut par un fratricide. » Ni les desseins criminels, ni la raison ne manquèrent à Médée.
[LXVIII] Huic ut scelus, sic ne ratio quidem defuit. Quid ille funestas epulas fratri conparans nonne uersat huc et illuc cogitatione rationem : « Maior mihi moles, maius miscendumst malum, qui illius acerbum cor contundam et conprimam. »
[68] Et ce personnage, qui prépare un funeste festin à son frère, n'examine-t-il pas chaque détail de son plan ? « Je dois fournir un effort plus grand, un mal plus grand afin d'abattre et d'écraser son cœur cruel. »
 

Pars XXVII

Nec tamen ille ipse est praetereundus, « qui non sat habuit coniugem inlexe in stuprum ». De quo recte et uerissume loquitur Atreus : « Quod re in summa summum esse arbitror periclum, matres coinquinari regias, contaminari stirpem, admisceri genus. » At id ipsum quam callide, qui regnum adulterio quaereret : « Addo », inquit, « huc, quod mihi portento caelestum pater prodigium misit, regni stabilimen mei, agnum inter pecudes aurea clarum coma quondam Thyestem clepere ausum esse e regia, qua in re adiutricem coniugem cepit sibi. »
Cet autre non plus ne doit pas être négligé qui « ne se satisfit pas d'attirer la femme [de son frère] dans l'adultère » ; Atrée dit sur lui des paroles justes et graves : « Il n'est pas de pire danger, je pense, que cet homme occupant le rang le plus illustre : que les mères enfantent des fils souillés, que les races soient contaminées, que le sang soit corrompu » ; mais avec quelle habileté il prépare son crime pour s'emparer du royaume, en séduisant la reine : « Le père des dieux, ajoute-t-il, m'avait envoyé un signe, bienveillant à l'égard de mon règne : un agneau qui se distingue d'entre ses semblables par sa toison d'or, Thyeste osa le ravir à mon royaume, ayant pris ma femme comme complice de son acte. »
[LXIX] Videturne summa inprobitate usus non sine summa esse ratione ? Nec uero scaena solum referta est his sceleribus, sed multo uita communis paene maioribus. Sentit domus uniuscuiusque, sentit forum, sentit curia, campus, socii, prouinciae, ut, quemadmodum ratione recte fiat, sic ratione peccetur, alterumque et a paucis et raro, alterum et semper et a plurimis, ut satius fuerit nullam omnino nobis a dis immortalibus datam esse rationem quam tanta cum pernicie datam. Ut uinum aegrotis, quia prodest raro, nocet saepissime, melius est non adhibere omnino quam spe dubiae salutis in apertam perniciem incurrere, sic haud scio, an melius fuerit humano generi motum istum celerem cogitationis, acumen, sollertiam, quam rationem uocamus, quoniam pestifera sit multis, admodum paucis salutaris, non dari omnino quam tam munifice et tam large dari.
[69] Ne te semble-t-il pas qu'il ait agi avec la plus grande scélératesse et dans le même temps de la manière la plus rationnelle ? Il n'y a pas qu'au théâtre qu'on voit tant de crimes : notre vie quotidienne en compte de bien pires. Les maisons privées, le forum, la curie, le Champ de Mars, les alliés, les provinces savent, par expérience, que la raison permet de faire tant le mal que le bien, que seule une minorité fait un bon usage de la raison, et rarement, qu'une majorité s'en sert, toujours, pour de mauvais desseins : aussi eût-il mieux valu que les dieux ne nous eussent donné aucune faculté du tout, plutôt que de nous en avoir donné une aux effets si désastreux. Le vin procure rarement du soulagement au malade, souvent il lui est nuisible ; c'est pourquoi il est préférable de ne pas lui en donner du tout plutôt que de l'exposer à un risque sérieux, pour s'être bercé d'une douteuse espérance de guérison ; cette vivacité d'esprit, cette perspicacité, cette intelligence, en un mot, cette raison qui cause la ruine de la majorité des gens et n'est bénéfique qu'à une minorité, je me demande s'il n'eût pas mieux valu que le genre humain en fût dénué totalement plutôt que pourvu avec tant de générosité et de largesse.
[LXX] Quamobrem si mens uoluntasque diuina idcirco consuluit hominibus, quod iis est Iargita rationem, is solis consuluit, quos bona ratione donauit, quos uidemus, si modo ulli sint, esse perpaucos. Non placet autem paucis a dus inmortalibus esse consultum ; sequitur ergo, ut nemini consultum sit.
[70] Si l'esprit et la volonté divines veillent sur les hommes à travers le don de la raison, ils est évident que les dieux veillent sur ceux auxquels ils ont donné une raison vertueuse : en admettant qu'il y en ait, force est de constater qu'ils sont peu nombreux. Il est cependant absurde que les dieux immortels se soient préoccupés seulement de quelques-uns ; d'où cette conséquence qu'ils ne se sont souciés de personne.
 

Pars XXVIII

Huic loco sic soletis occurrere : non idcirco non optume nobis a dis esse prouisum, quod multi eorum beneficio peruerse uterentur ; etiam patrimoniis multos male uti nec ob eam causam eos beneficium a patribus nullum habere. Quisquam istuc negat, aut quae est in collatione ista similitudo ? Nec enim Herculi nocere Deianira uoluit, cum ei tunicam sanguine Centauri tinctam dedit, nec prodesse Pheraeo Iasoni is, qui gladio uomicam eius aperuit, quam sanare medici non potuerant. Multi enim et, cum obesse uellent, profuerunt et, cum prodesse, offuerunt ; ita non fit ex eo, quod datur, ut uoluntas eius, qui dederit, appareat, nec si is, qui accepit, bene utitur, idcirco is, qui dedit, amice dedit.
Vous avez coutume de vous opposer à cet argument ainsi : que beaucoup fassent un mauvais usage des avantages divins ne signifie pas pour autant que les dieux n'ont pas agi de leur mieux pour nous aider ; nombreux sont ceux aussi qui font un mauvais usage du patrimoine, et ce n'est pas pour cela qu'ils n'ont reçu aucun bienfait de leur père. Et qui le nie ? Mais quel rapport dans cette comparaison avec notre problème ? Déjanire, certes, ne voulait pas nuire à Hercule quand elle lui donna la tunique trempée du sang du Centaure, et il ne voulait pas faire du bien à Jason de Phères celui qui perça d'un coup d'épée l'abcès que les médecins étaient incapables de guérir. Ils arrive souvent qu'on fasse du bien alors qu'on voulait faire du mal, et du mal alors qu'on voulait faire du bien ; ainsi l'intention du donateur n'apparaît pas dans ce qu'il donne ; et de faire un bon usage d'un présent, il ne faut pas en inférer que le donateur a eu des intentions amicales.
[LXXI] Quae enim libido, quae auaritia, quod facinus aut suscipitur nisi consilio capto aut sine animi motu et cogitatione, id est ratione, perficitur ; nam omnis opinio ratio est, et quidem bona ratio, si uera, mala autem, si falsa est opinio. Sed a deo tantum rationem habemus, si modo habemus, bonam autem rationem aut non bonam a nobis. Non enim ut patrimonium relinquitur, sic ratio est homini beneficio deorum data ; quid enim potius hominibus dii dedissent, si is nocere uoluissent ; iniustitiae autem, intemperantiae, timiditatis quae semina essent, si is uitiis ratio non subesset ?
[71] Est-il un acte dicté par le désir, par la cupidité, est-il un crime qui soit entrepris sans décision préalable, ou perpétré sans l'activité de l'esprit et de la pensée, c'est-à-dire sans la raison ? De fait, toute opinion est le produit de la raison, et d'une raison bonne si l'opinion est vraie, d'une raison mauvaise si elle est fausse. Mais dieu s'est borné à nous donner la raison (étant admis qu'il nous l'ait donnée), et qu'elle soit bonne ou non, cela dépend de nous. La raison n'a pas été donnée aux hommes par des dieux favorables, comme on transmet un héritage. En effet, est-il un meilleur présent que les dieux auraient pu faire aux hommes s'ils avaient voulu leur faire du mal ? L'injustice, l'intempérance, la couardise, de quels germes ces vices seraient-ils nés sans l'aide de la raison ?
 

Pars XXIX

Medea modo et Atreus commemorabatur a nobis, heroicae personae, inita subductaque ratione nefaria scelera meditantes.
Tout à l'heure, nous évoquions Médée et Atrée, personnages des temps héroïques, qui, par calcul, méditaient des crimes infâmes.
[LXXII] Quid ? Leuitates comicae parumne semper in ratione uersantur ? Parumne suptiliter disputat ille in Eunucho : « Quid igitur faciam ? Exclusit, reuocat ; redeam ? Non, si me obsecret. » Ille uero in Synephebis Academicorum more contra communem opinionem non dubitat pugnare ratione, qui « in amore summo summaque inopia suaue » esse dicit « parentem habere auarum, inlepidum, in liberos difficilem, qui te nec amet nec studeat tui »,
[72] Et les frivolités des comédies, ne sont-elles pas toujours placées sous le signe de la raison ? Ce personnage de l'Eunuque ne raisonne-t-il peut-être pas avec subtilité : « Que faire alors ? Elle m'a chassé, elle me rappelle ; dois-je revenir ? Pas même si elle me supplie à genoux. » Et dans les Synéphèbes, ce personnage n'hésite à polémiquer avec des arguments dignes d'un Académicien, pour combattre l'opinion commune ; il déclare que « lorsque l'on est très amoureux, infiniment pauvre, il est doux d'avoir un père avare, bourru, dur avec ses enfants, qui ne vous aime pas et ne prend pas soin de vous »
[LXXIII] atque huic incredibili sententiae ratiunculas suggerit : « Aut tu illum fructu fallas aut per litteras auertas aliquod nomen aut per seruolum percutias pauidum ; postremo a parco patre quod sumas, quanto dissipes libentius » ; idemque facilem et liberalem patrem incommodum esse amanti filio disputat : « Quem neque quo pacto fallam nec quid inde auferam nec quem dolum ad eum aut machinam commoliar, scio quicquam : ita omnis meos dolos, fallacias, praestrigias praestrinxit commoditas patris. » Quid ergo isti doli, quid machinae, quid fallaciae praestrigiaeque ? Num sine ratione esse potuerunt ? O praeclarum munus deorum ! Ut Phormio possit dicere : « Cedo senem ; iam instructa sunt mihi in corde consilia omnia. »
[73] et il ajoute des arguments subtils à l'appui de cette affirmation incroyable : « Ou tu lui dérobes ses revenus, ou bien, en falsifiant un document, tu récupères le montant d'une dette, ou bien, avec la complicité d'un esclave, tu le frappes d'épouvante ; si joyeusement à la fin tu dissiperas cet argent soutiré à un père avare » ; et le même personnage soutient qu'un père gentil et généreux est une entrave pour un enfant amoureux : « Je ne sais pas comment le tromper, ni quoi lui dérober, ni quelle ruse ni quelle machination inventer : ainsi la générosité de mon père a mis un frein à toutes mes ruses, à mes tromperies, à mes fraudes. » Ces ruses, ces machinations, ces tromperies et ces fraudes ne sont-elles sans doute pas l'œuvre de la raison ? Ô illustre don des dieux, qui autorise Phormion à dire : « Envoie-moi le vieux ; dans ma tête tous les plans sont déjà prêts. »
 

Pars XXX

[LXXIV] Sed exeamus e theatro, ueniamus in forum ! Sessum ite, precor ! Quid ut iudicetur ? Qui tabularium incenderit. Quod facinus occultius : at se Q. Sosius, splendidus eques Romanus, ex agro Piceno, fecisse confessus est. Qui transcripserit tabulas publicas ; id quoque L. Alenus fecit, cum chirographum sex primorum imitatus est ; quid hoc homine sollertius ? Cognosce alias quaestiones, auri Tolossani, coniurationis Iugurthinae ; repete superiora : Tubuli de pecunia capta ob rem iudicandam ; posteriora : de incestu rogatione Peducaea ; tum haec cotidiana : sicae, uenena, peculatus, testamentorum etiam lege noua quaestiones. Inde illa actio « Ope consilioque tuo furtum aio factum esse » ; inde tot iudicia de fide mala, tutelae mandati, pro socio, fiduciae, reliqua, quae ex empto aut uendito aut conducto aut locato contra fidem fiunt, inde iudicium publicum rei priuatae lege Plaetoria, inde euerriculum malitiarum omnium, iudicium de dolo malo, quod C. Aquillius familiaris noster protulit ; quem dolum idem Aquillius tum teneri putat, cum aliud sit simulatum, aliud actum.
[74] Mais quittons le théâtre et rendons-nous au forum. Le préteur va prendre sa place : quelle est l'affaire à juger ? Découvrir qui a incendié le tabularium. Quel crime pourrait être plus mystérieux ? Mais Quintus Sosius, illustre chevalier romain du Picénus, a avoué l'avoir commis. Qui a falsifié des documents publics ? Lucius Alénus l'a fait, quand il a imité la signature des six premiers employés. Qui est plus habile que cet homme ? Considère les autres procès : l'or de Toulouse, la conjuration de Jugurtha ; rappelle-toi, plus tôt : le procès de Tubulus, qui s'est laissé corrompre avant de rendre son verdict ; ou plus récemment : le procès intenté par Péducéus sur un cas d'inceste, et ces procès qui ont lieu quotidiennement, pour assassinats, empoisonnements, détournements de biens publics, falsifications des testaments selon la nouvelle loi. D'où la formule de l'accusation : « Je déclare qu'un vol a été commis avec ton aide et à ton instigation. » De là tous les procès pour condamner la mauvaise foi du tuteur, du mandataire, de l'associé, du dépositaire ; et tous les autres procès pour abus de confiance, contre l'acheteur ou le vendeur, le loueur ou le locataire, d'où l'action publique exercée dans les affaires privées selon la loi Létoria : introduite par notre ami Caius Aquilius, elle doit servir de garde-fou contre les tromperies : d'après lui, il y a tromperie chaque fois qu'on simule une action différente de celle que l'on a effectivement faite.
[LXXV] Hanc igitur tantam a dis inmortalibus arbitramur malorum sementim esse factam ? Si enim rationem hominibus di dederunt, malitiam dederunt ; est enim malitia uersuta et fallax ratio nocendi ; idem etiam di fraudem dederunt, facinus ceteraque, quorum nihil nec suscipi sine ratione nec effici potest. Utinam igitur, ut illa anus optat, « ne in nemore Pelio securibus caesae accidissent abiegnae ad terram trabes », sic istam calliditatem hominibus di ne dedissent, qua perpauci bene utuntur, qui tamen ipsi saepe a male utentibus obprimuntur, innumerabiles autem improbe utuntur, ut donum hoc diuinum rationis et consilii ad fraudem hominibus, non ad bonitatem impertitum esse uideatur.
[75] Alors, pensons-nous que les dieux se soient faits les semeurs de si grands maux ? Si les dieux ont donné aux hommes la raison, il leur ont donné la fourberie, qui n'est rien d'autre qu'un moyen astucieux et travesti de faire le mal ; de la même façon, les dieux leur ont donné la fraude, le crime et toutes les mauvaises actions, car aucune d'entre elles ne peut être conçue sans la raison. Aussi, suivant le désir de cette vieille, « si au moins les troncs du sapin n'étaient pas tombés à terre, dans le bois du Pélion, coupés par les haches » ainsi, si seulement les dieux n'avaient pas donné aux hommes cette habileté à raisonner ! Très peu en font bon usage, et cependant ce sont souvent ceux-là mêmes qui sont victimes de ceux qui en font un mauvais usage, et ils sont innombrables ceux qui s'en servent avec de mauvaises intentions, de sorte que le don divin de la raison et de la réflexion semble avoir été donné aux hommes dans le but de tromper et non de faire le bien.
 

Commentaires d'Ugo Bratelli

Paragraphe 53

Les mythographes sont, littéralement, des « théologiens ».

Le troisième Jupiter est né en Crète, dans une caverne du mont Ida, de Cronos et de Rhéa.

Le temple des Anactès (Anákeion) se trouvait sur le côté sud de l'Acropole.

Castor et Pollux, suivant une autre légende, eurent pour père Tyndare.

Alcon est l'un des Cabires, fils d'Héphaïstos.

Paragraphe 54

L'union d'Antiope et de Piéros est propre à Cicéron.

Ialysos, Camiros et Lindos sont des héros éponymes des trois villes de l'île de Rhodes.

Paragraphe 55

Opas est aussi appelé Phthas, selon les manuscrits.

Maémalius est un personnage inconnu.

Les Vulcanies sont constituées de la Lipari et des îles Éoliennes.

Paragraphe 56

Phoronée est aussi appelée Coronis, selon les manuscrits.

Phénée est au nord-est de l'Arcadie.

Argus est le gardien au cent yeux chargé par Héra de garder Io, amante de Zeus et métamorphosée en génisse.

Paragraphe 57

Esculape, ou Asclépios, est fils d'Apollon et de Coronis, ou d'Arsinoé d'après une autre tradition.

Le Lousius est un affluent de l'Alphée.

Prêtres phrygiens, les Corybantes, parfois confondus avec les Dactyles de l'Ida, célébraient Cybèle à grands renforts de danses orgiastiques.

Les Hyperboréens sont des peuples fabuleux habitant les régions septentrionales.

Paragraphe 58

Upis est une divinité égyptienne.

Le premier Dionysos mentionné, fils de Jupiter et de Proserpine, n'est pas celui de la tradition la plus répandue.

On connaît une Nysa qui s'occupa du petit Dionysos.

Sabazios est une divinité phrygienne identifiée avec Dionysos.

Thyoné est le nom pris par Sémélé après que Dionysos l'eut arrachée aux Enfers.

Les triétérides étaient des fêtes célébrées à Thèbes.

Paragraphe 59

Antéros est le troisième Cupidon.

Saïs est la ville située dans le delta du Nil, où Athéna était honorée. Il s'agit ici probablement de la divinité égyptienne Neith.

Paragraphe 66

Celle qui manque de réflexion est Médée.

Paragraphe 68

C'est le personnage d'Atrée, qui a pour femme Aéropé, qui prépare un funeste festin à son frère Thyeste.

Paragraphe 70

Déjanire, femme d'Héraclès, offrit à ce dernier une tunique enduite du sang du Centaure Nessus, croyant qu'il s'agissait d'un philtre d'amour. Nessus, tué par Héraclès, abusa ainsi Déjanire et entraîna la mort de celui qui l'avait causé sa mort : le sang du centaure était en effet empoisonné.

Paragraphe 73

Phormion est un parasite ; il cherche à arranger un mariage entre Antiphon et une jeune orpheline.

Paragraphe 74

Le tabularium est l'endroit où étaient conservées les archives. Il fut détruit lors de l'incendie du Capitole survenu en 83 av. J.-C., puis reconstruit en 78.

En 106 av. J.-C., durant la guerre contre les Cimbres, le consul Quintus Servilius mis Toulouse à sac. Il s'empara d'un trésor dont on disait qu'il provenait de Delphes.

Pour la conjuration de Jugurtha, voir Salluste, Jugurtha (27-40).

En 114 av. J.-C., Sestus Peduceus attaqua le Grand Pontife Metellus : une Vestale, accusée d'inceste, avait été condamnée, alors que deux autres avaient été absoutes. Un tribunal spécial fut réuni pour trancher la question.

La loi Létoria s'appelle aussi « loi Plétoria » et protégeait les biens des mineurs – moins de 25 ans.

Caius Aquilius fut préteur en 66 av. J.-C., avec Cicéron.

 

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