Le Coran

Document PDF à téléchargerVous trouverez sur ces pages quelques éléments de réflexions spirituelles sur la religion musulmane. Pour plus d'informations sur les raisons qui m'ont poussé à les rédiger ainsi que sur l'optique dans laquelle il faut les lire, merci de consulter l'avant-propos de ce document.
 

Incréé, éternel et inimitable, le Coran appartient au patrimoine spirituel et culturel universel ; il attise moult curiosités, si bien que nous pouvons en lire le nom et des extraits un peu partout. Or, il demeure profondément méconnu, pour ne pas dire inconnu de la plupart des hommes. Son utilisation est souvent faite à mauvais escient et ses versets sont fréquemment cités hors contexte, ce qui conduit à la mécréance, à des préjugés faux et à des méfiances injustifiées. Il est certes vrai que le livre saint des musulmans n'est pas d'une lecture immédiate puisque sa forme en entrelacs et son contenu parfois obscur ne facilitent pas sa compréhension directe, ce qui est toutefois un bienfait de Dieu puisque c'est l'occasion d'exercer notre intelligence afin de comprendre la parole divine et d'augmenter notre foi. En effet, être musulman ne doit pas se limiter à une connaissance générale des préceptes enseignés par le Coran et la vie du Prophète. Le rapport avec Dieu doit être bien plus profond que Son adoration ou la récitation des cinq prières quotidiennes : un véritable effort constant de méditation est nécessaire à partir du Livre (Kitâb, qu'il faut considérer dans le sens du verbe kataba, « il écrivit », « il ordonna », c'est-à-dire de la révélation [C'est d'ailleurs dans le même sens qu'il faut considérer l'expression ahl al-Kitâb, souvent traduite à tort par « les gens du Livre » ; ce sont plutôt « ceux qui suivent une révélation antérieure », à savoir les juifs et les chrétiens.] et non pas du livre en tant que tel puisqu'il n'a pas été compilé sous forme de livre du temps du Prophète).

Ainsi, il est nécessaire d'approfondir ses connaissances du Coran de manière sereine, objective et rigoureuse. Cela permet en outre de mieux nous rendre compte de la pensée, de la morale et de l'histoire des musulmans.

Une révélation divine

Le Coran est la forme francisée d'al-Qur'ân (« la Récitation ») : c'est le recueil des révélations qu'a faites Dieu au prophète Muhammad entre l'an 610 environ de notre ère et sa mort en 632. Le Coran est donc la parole même de Dieu, révélée en langue arabe à Muhammad par le truchement de l'archange Gabriel.

Ainsi, le Coran, issu du verbe arabe signifiant « lire » ou « réciter », est la lecture par excellence, tout comme la Bible, issue du mot grec signifiant « livres », est le livre par excellence.

La Nuit de la Grandeur de Dieu

Le Coran fut intégralement révélé à Muhammad lors de la Nuit du Destin (Laylat al-Qadr) puis graduellement pendant vingt-trois années afin que nous puissions mieux mémoriser ses paroles, comme Dieu le dit dans la sourate xxv « Le Critère » (Al-Furqân) :

 

32. Les dénégateurs ont encore dit : « Ah ! si la descente du Coran s'était faite sur lui d'une seule venue ! »
— C'est ainsi ! pour le fixer dans ton cœur ; et (dans ce but aussi) Nous en espaçons la diction
﴾۳۲﴿ وَقَالَ الَّذِينَ كَفَرُوا لَوْلَا نُزِّلَ عَلَيْهِ الْقُرْآَنُ جُمْلَةً وَاحِدَةً كَذَلِكَ لِنُثَبِّتَ بِهِ فُؤَادَكَ وَرَتَّلْنَاهُ تَرْتِيلًا

 

La traduction traditionnelle de qadr, et non pas qadar, en « destin » ou « destinée » perd quelque peu de vue la signification du mot, qui réfère avant tout au pouvoir grandiose de Dieu ; la Nuit de la Sublimité de Dieu serait une traduction plus appropriée, selon le sens retenu par le Dictionnaire coranique du Caire. Cette nuit, extrêmement importante et sacrée pour les musulmans, est souvent la vingt-septième du mois de Ramadân mais elle varie [Elle reste cependant une nuit de quantième impair dans les dix derniers jours du mois de Ramadân.] d'une année à l'autre.

Le contenu complet de la sourate xcvii « Grandeur » (Al-Qadr) est :

 

1. C'est Nous qui le fîmes descendre dans la Nuit grandiose ﴾۱﴿ إِنَّا أَنْزَلْنَاهُ فِي لَيْلَةِ الْقَدْرِ
2. Qu'est-ce qui peut te faire comprendre ce qu'est la Nuit grandiose ? ﴾۲﴿ وَمَا أَدْرَاكَ مَا لَيْلَةُ الْقَدْرِ
3. — La Nuit grandiose vaut plus qu'un millier de mois ﴾۳﴿ لَيْلَةُ الْقَدْرِ خَيْرٌ مِنْ أَلْفِ شَهْرٍ
4. en elle font leur descente les anges et l'Esprit, sur permission de leur Seigneur, pour tout décret. ﴾۴﴿ تَنَزَّلُ الْمَلَائِكَةُ وَالرُّوحُ فِيهَا بِإِذْنِ رَبِّهِمْ مِنْ كُلِّ أَمْرٍ
5. — Salut soit-elle jusqu'au lever de l'aube ! ﴾۵﴿ سَلَامٌ هِيَ حَتَّى مَطْلَعِ الْفَجْرِ

 

En outre, cette révélation est inimitable, si bien qu'aucune sourate similaire à celles présentes dans le Coran ne peut être produite, comme il est précisé dans la sourate xvii « Le Trajet nocturne » (Al-'Isrâ') :

 

88. Dis : « Si les hommes et les génies s'unissaient pour produire rien de semblable au Coran, ils y échoueraient, même en se soutenant les uns les autres ». ﴾۸۸﴿ قُلْ لَئِنِ اجْتَمَعَتِ الْإِنْسُ وَالْجِنُّ عَلَى أَنْ يَأْتُوا بِمِثْلِ هَذَا الْقُرْآَنِ لَا يَأْتُونَ بِمِثْلِهِ وَلَوْ كَانَ بَعْضُهُمْ لِبَعْضٍ ظَهِيرًا

Une révélation incréée

Le Coran existe sans avoir été créé : on dit qu'il est incréé. Il existe en effet un Archétype mystérieux, seulement accessible aux anges, dont le Coran matériel est la transcription partielle. Nous l'apprenons dans la sourate xliii « Les Enjolivures » (Az-Zukhruf) :

 

2. Par l'Écrit explicite ﴾۲﴿ وَالْكِتَابِ الْمُبِينِ
3. Nous l'avons fait Coran arabe, escomptant que vous raisonniez ﴾۳﴿ إِنَّا جَعَلْنَاهُ قُرْآَنًا عَرَبِيًّا لَعَلَّكُمْ تَعْقِلُونَ
4. aussi bien demeure-t-il, sagesse sublime, dans l'Original en Notre sein. ﴾۴﴿ وَإِنَّهُ فِي أُمِّ الْكِتَابِ لَدَيْنَا لَعَلِيٌّ حَكِيمٌ

 

Le Coran matériel n'est ainsi que la représentation physique d'un Coran supérieur, occulté aux yeux du profane. Ce « Livre caché » (Kitâb mmaknûn, cf. lvi:78) est inscrit sur une « Table bien gardée » (al-lawh al-mahfûz, cf. lxxxv:21–22) : c'est la « mère du Livre » (umm al-Kitâb, cf. iii:7).

La réception de la révélation

Al-Hârith Ibn Hichâm (Dieu en soit satisfait) demanda au Messager de Dieu : « Messager de Dieu ! Comment reçois-tu la révélation ? — Je la reçois, dit le Messager de Dieu, quelquefois comme le tintement d'une cloche, et c'est le plus pénible pour moi ; quand elle prend fin j'ai déjà tout saisi. Quelquefois l'Ange m'apparaît sous la forme d'un homme qui me parle, et je saisis ce qu'il dit. »
`Â'icha (Dieu en soit satisfait) dit : « J'ai vu le Messager de Dieu recevoir la révélation le jour de grand froid, et quand elle prenait fin, la sueur inondait son front ! »

(hadîth 2 d'al-Bukhârî)

Ce hadîth confirme l'existence des anges, capables de s'incarner dans des corps visibles. La chaîne de transmetteurs de ce hadîth précise que `Â'icha, la troisième épouse et préférée du Prophète, est « mère des croyants » (umm al-mu'minîn) : les épouses du Prophète sont appelées de la sorte (cf. xxxiii:6) et personne ne peut se marier avec elles après sa mort.

Comme nous l'indiquent les ahâdîth suivants, la révélation commença sous forme de songes prémonitoires, qui s'avéraient exacts. Solitaire, il se recueillait pendant plusieurs jours consécutifs dans la grotte de Hirâ' et un jour lui apparut l'archange Gabriel (cf. les trois premiers versets révélés dans « L'Accrochement », Al`Alaq, xcvi:1–3). Il prit peur et rentra chez lui auprès de Khadîja, sa première femme, lui demandant de le couvrir d'une cape (cf. les versets révélés juste après dans « Il s'est couvert d'une cape », Al-Muddaththir, lxxiv:1–5, où Muhammad reçoit l'ordre de transmettre la parole divine). Au début, lorsque le Coran lui était révélé, il remuait les lèvres en s'empressant de tout retenir ; or c'est à Dieu qu'il revient de le lui inculquer en entier de le lui faire réciter, si bien qu'après lxxv:16–19, il le laissait se rassembler dans son cœur d'où il le lisait. C'est l'archange Gabriel qui énonçait et qui lui donnait l'interprétation : Muhammad prêtait alors l'oreille puis, une fois parti, récitait le Coran présent dans son cœur.

Pendant le mois de Ramadân, Gabriel venait le voir chaque nuit et ils révisaient minutieusement ensemble le Coran. C'est l'une des différences avec les Livres précédemment révélés : le Coran a le privilège d'être rassemblé dans les cœurs des fidèles, qui l'étudient, l'apprennent et le récitent, et tout particulièrement les soirs du mois de Ramadân.

Les thèmes principaux

Pour ce qui est du contenu du Coran, les fidèles considèrent que certaines parties sont en relation avec des vérités éternelles et que d'autres sont liées à des circonstances précises de la vie de Muhammad et de l'histoire de son temps. Toutefois, il est en pratique difficile de différencier ces parties afin de pouvoir adapter les dernières à notre siècle, si tant est qu'elles doivent être adaptées puisque la parole de Dieu est éternelle et ne varie pas en fonction des âges. C'est la condition humaine en général qui est dépeinte dans le Coran et les faits historiques ne sont que des exemples d'une même réalité intemporelle. À chacun de voir comment s'améliorer au quotidien grâce au Coran, à la lueur de ce dont j'ai précédemment parlé.

Le Coran est aussi dénommé le Rappel (Dhikr) car il rappelle les vérités inhérentes à l'homme mais qu'il a oubliées. L'homme dérive par nature du chemin de la Vérité implantée en lui à moins qu'on ne la lui rappelle constamment. D'ailleurs, l'islâm ne se proclame pas comme une « nouvelle » religion mais comme la réaffirmation de la religion pérenne de l'humanité dont les thèmes principaux sont :

Nous verrons tout cela, entre autres, dans la suite de ce document.

Une division en sourates

Le Coran contient 114 chapitres que l'on appelle « sourates » (de l'arabe sûrah au singulier, sûwar au pluriel, signifiant ce qui est à l'état construit, comme un mur autour d'une cité ou une élévation spirituelle : une marche amenant une autre marche). La longueur des sourates est très variable (de 3 à 286 versets) mais le Coran est plus ou moins ordonné par ordre décroissant de leur taille. Notons au passage que cet ordre n'a rien de chronologique.

La basmala

Chaque sourate à l'exception de la neuvième, « Le Repentir » (At-Tawbah), est précédée par la basmala ; il n'y a que la première sourate, « L'Ouverture » (Al-Fâtiha), qui contient réellement ce verset. Vous trouverez d'ailleurs davantage d'explications sur ce verset dans la partie de ce document qui concerne cette première sourate. La basmala est prononcée à de nombreux moments de la journée par les musulmans, ainsi que dans leurs prières quotidiennes. Cette phrase est aussi présente au début de nombreux documents musulmans officiels ou non. On la trouve au tout premier verset du Coran :

 

1. Au nom de Dieu, le Tout miséricorde, le Miséricordieux ﴾۱﴿ بِسْمِ اللَّهِ الرَّحْمَنِ الرَّحِيمِ

Les périodes mecquoise et médinoise

Les sourates sont de deux types selon l'endroit où elles sont censées avoir été révélées :

Il faut cependant noter que certaines sourates ont été révélées à Muhammad à des moments et en des lieux différents et que ce classement n'est par conséquent pas certain.

Une division en versets

Les sourates sont elles-mêmes divisées en versets (de l'arabe âyah au singulier, âyât au pluriel, signifiant le signe divin ou le miracle) dont le nombre total est 6 236, sans compter la basmala introductive de chaque sourate – hormis la neuvième, « Le Repentir » (At-Tawbah), qui n'en a pas, mais en comptant en revanche celle de la première, « L'Ouverture » (Al-Fâtiha). À titre de comparaison, la Bible contient traditionnellement 31 102 versets (23 145 dans l'Ancien Testament, 7 957 dans le Nouveau Testament).

Le terme utilisé pour nommer les versets coraniques, les âyât, n'est pas seulement un terme typographique ou de mise en page : il affirme que chaque verset est une révélation miraculeuse.

Le numéro d'un verset est écrit à la fin d'icelui, dans le symbole spécial ۝ marquant la fin du verset. À ce propos, les nombres écrits en arabe se lisent dans le même sens que l'écriture arabe, c'est-à-dire de la droite vers la gauche, mais ils commencent par les unités, ce qui fait que le nombre apparaîtra dans le sens de lecture usuelle française. Ainsi, pour la langue française, le nombre 12, c'est 10 puis 2 tandis que pour la langue arabe, c'est conceptuellement 2 puis 10. Tout compte fait, cela semble très naturel : on commence toujours par le chiffre de poids le moins élevé lorsque l'on ajoute des nombres entre eux !

Les versets de prosternation

Notons que certaines éditions du Coran signalent la quinzaine de versets dits « de prosternation » avec le symbole ۩ placé à la fin desdits versets. Il serait alors recommandé de se prosterner mais cet usage n'est pas répandu partout.

L'ordre des versets

Le Coran a été révélé verset par verset à Muhammad, et non sourate par sourate. À chaque fois, le Prophète indiquait où il fallait placer le nouveau verset parmi ceux qui lui avaient été précédemment révélés. Il est par conséquent miraculeux de constater que le Coran est bien ordonné et que les versets d'une même sourate s'enchaînent correctement les uns à la suite des autres, avec une fluidité et une beauté exemplaires.

Contrairement à ce que moult personnes pensent, le dernier verset révélé n'est pas celui où Dieu dit « Aujourd'hui J'ai parachevé pour vous votre religion, parfait pour vous Mon bienfait en agréant pour vous l'Islâm comme religion » (cf. v:3, révélé lors du pèlerinage d'adieu de Muhammad, quatre-vingt-un jours avant sa mort) mais celui-ci, qui n'est qu'un avertissement supplémentaire et non une nouvelle législation, dans la sourate ii « La Vache » (Al-Baqarah), neuf jours avant sa mort :

 

281. Prémunissez-vous contre le Jour où il sera de vous fait à Dieu retour, où toute âme recouvrera ses acquis, sans la moindre injustice… ﴾۲۸۱﴿ وَاتَّقُوا يَوْمًا تُرْجَعُونَ فِيهِ إِلَى اللَّهِ ثُمَّ تُوَفَّى كُلُّ نَفْسٍ مَا كَسَبَتْ وَهُمْ لَا يُظْلَمُونَ

La récitation du Coran

Afin de faciliter sa récitation, le Coran a été postérieurement divisé en sept parties plus ou moins égales (les manâzil, pluriel de manzil), ce qui permet de le réciter en entier au cours d'une semaine. Il est aussi divisé en trente parties plus petites (les ajzâ', pluriel de juz'), pour sa récitation en un mois et en particulier celui du Ramadân. Chacune de ces trente parties débute par le symbole ۞. Enfin, chaque juz` est aussi divisé en deux autres parties (les ahzâb, pluriel de hizb) qui sont à leur tour subdivisées en quatre quarts (les arbâ`, pluriel de rub`).

L'arabe coranique

C'est un arabe littéraire très particulier qui, même pour des arabisants instruits, est difficile à saisir. Sa prononciation est aussi très particulière et miraculeuse, à l'image de sa calligraphie. Cette langue contient beaucoup d'archaïsmes terminologiques (que l'on retrouve cependant encore de nos jours chez les Bédouins), un beau phrasé rythmé, fluide et assonancé, ainsi que des trésors de figures de rhétorique (allégories, antithèses, ellipses, métaphores, métonymies, paronomases, etc.) qui sont vecteurs de symboles et de sens, à savoir le véritable arabe imagé, elliptique (îjâz) et coulant fluidement d'une association d'idées à une autre.

Il est notamment bien plus aisé de lire une traduction du Coran que le Coran lui-même. Mais il ne faut pas perdre de vue que toute traduction n'est plus la parole de Dieu… Le sens profond des versets coraniques n'existe que dans sa langue originelle puisque chaque mot arabe utilisé fait résonner tous les sens des mots issus de la même racine sémitique.

D'ailleurs, seul le texte arabe originel révélé au Prophète est appelé Coran ; les traductions perdent le statut parfait de la parole divine et ne sont que des interprétations puisqu'il n'y a aucune garantie que le traducteur n'ait pas mécompris la parole de Dieu. Et même lorsque nous lisons le Coran en arabe, il faut s'assurer de ne pas l'interpréter, par exemple en le confrontant avec des ahâdîth valides-sûrs.

De l'authenticité du Coran

La teneur et l'authenticité de la version écrite de la révélation faite au prophète Muhammad sont bien entendu inséparables de l'histoire et de la datation de la mise par écrit du Coran. Il est évident que plus l'élaboration définitive est proche du temps de la révélation, moins le risque d'altération est élevé. C'est pourquoi la tradition « orthodoxe » islamique la plus répandue professe que la décision de la collecte du Coran intervint juste après la mort de Muhammad, en 632, au temps d'Abû Bakr, le premier calife, et que la version officielle, absolument fidèle aux révélations reçues par Muhammad, vit le jour sous le califat de `Uthmân, le troisième calife, à peine une vingtaine d'années après la disparition du Prophète. Nous pouvons donc légitimement nous demander dans quelle mesure le Coran que nous connaissons aujourd'hui, aussi appelé « le codex de `Uthmân » (al-mushaf al-`uthmânî), est fidèle à la révélation qu'a reçue Muhammad.

Il est possible de discuter longuement sur ce sujet inépuisable et source de désaccords nombreux entre les islamologues. Je ne pourrai moi-même d'ailleurs pas trancher sur ce sujet donc je m'abstiendrai de commentaires stériles – Dieu est plus connaissant sur tout cela. Mais il est de mon devoir de ni occulter ce problème dans mes méditations ni le passer sous silence dans ce présent document.

Pour plus d'informations, vous pouvez par exemple consulter l'étude [Voir l'article « Révélation et falsification » paru dans le Journal asiatique, 293, 2005, 2, p. 663–722.] de Mohammad Ali Amir-Moezzi et d'Etan Kohlberg sur le Kitâb al-Qirâ'at d'Al-Sayyârî, la plus ancienne monographie parvenue jusqu'à nous qui soit consacrée à la délicate question de la falsification (tahrîf) du Coran. Il permet notamment de mieux comprendre le shî'isme des premiers siècles de l'hégire ainsi que l'histoire de la rédaction et des représentations musulmanes anciennes du Coran.

Une compilation traditionnelle vers l'an 650

Selon le récit le plus récurrent de la tradition « orthodoxe » islamique, aucune version complète du Coran n'existait à la mort de Muhammad ; ses différents Compagnons en possédaient des extraits plus ou moins longs inscrits sur toutes sortes de supports (feuilles de palmier, omoplates de chameau, tessons de poterie, peaux, pierres, etc.) et les apprenaient par cœur. Une première recension fut décidée par le premier calife Abû Bakr, suivant le conseil de son futur successeur `Umar, et exécutée par le scribe du Prophète, Zayd ibn Thâbit, d'abord réticent puisqu'il s'écria « Vous voulez faire ce que l'Envoyé de Dieu Lui-même n'a pas fait ? » Muhammad aurait-il ainsi voulu garder principalement le Coran à l'état de récitation orale et « rassemblé dans la poitrine des hommes » (jam`al-qur'ân) ?

Quoi qu'il en soit, cette première compilation s'appelle « le codex entre les deux couvertures » et resta, à la mort de `Umar, dans sa famille puisque sa fille Hafsa, l'une des épouses du Prophète, en hérita. Le troisième calife `Uthmân, sur le conseil de son célèbre général Hudhayfa, réalisa une recension officielle du texte coranique : c'est le « recueil modèle » (al-mushaf al-imâm) à nouveau compilé par Zayd ibn Thâbit aidé par des Qurayshites dont ni le nombre ni l'identité ne font l'unanimité d'après les sources dont les islamologues disposent. Le calife donna enfin un caractère officiel et obligatoire à cette recension : des copies en furent envoyées dans les différentes capitales des provinces de l'empire et les versions précédentes furent peu à peu détruites.

Une compilation tardive vers l'an 700

La compilation réalisée par `Uthmân soulève de nombreux problèmes. Étant donné le nombre de mots et d'expressions énigmatiques présentes dans le Coran, comme les « oiseaux » abâbîla de la sourate cv « L'Éléphant » (Al-Fîl), le « croyant originel » hanîf, la « plénitude » al-samad de la sourate cxii « La Religion foncière » (Al-'Ikhlâs) ou encore les fameuses « lettres isolées » (les ouvrantes al-fawâtih énigmatiques au début de certaines sourates), se posent au moins deux questions fondamentales : pourquoi les savants musulmans ne connaissaient-ils pas (ou plus) le sens de toutes ces expressions à peine quelques décennies après la mort du Prophète ? Et pourquoi le droit islamique comporte-t-il des aspects anticoraniques [D'après The Origins of Muhammadan Jurisprudence de Joseph Schacht.] sur les règles d'héritage, les droits des veuves et ceux de la femme répudiée pendant sa période d'attente (`idda) quelques décennies après la mort du Prophète ?

Cela semble indiquer une finalisation très tardive et non consensuelle du Coran car il est difficile de comprendre comment autant de sens ait pu être perdu en l'espace de quelques années, à moins que leur sens n'ait jamais été saisi, y compris par le Prophète lui-même, ce qui me semble peu probable. C'est pourquoi la rédaction du Coran vers l'an 700, sous le califat de `Abd al-Malik ibn Marwân, paraît plus pertinente car entre la mort du Prophète et le début des Omeyyades, l'histoire et la mentalité des premiers musulmans ont dû évoluer, à la suite des guerres civiles et des grandes conquêtes. Là encore, Dieu sait plus que quiconque la réponse à ces questions.

Une altération éventuelle de la parole de Dieu

La datation des rares manuscrits très fragmentaires d'époque préabbasside est difficile et sujette à controverses, tout comme le contrôle de la transmission du Coran avant sa rédaction définitive qui est souvent située sous le califat de `Abd al-Malik ibn Marwân, vers l'an 700, c'est-à-dire soixante-dix ans après la mort du Prophète.

Et rien ne permet d'affirmer qu'il n'y a eu ni suppression ni ajout dans le Coran révélé au Prophète, que ce soit de sourates, de versets, de mots ou de variantes orthographiques ou lexicographiques. En outre, de puissants et riches lettrés de l'époque ont pu y prendre part, d'autant plus qu'il ne faut pas oublier que dans le contexte politico-religieux fragile d'alors, le calife et les hommes de pouvoir qui l'entouraient ne pouvaient pas ne pas être attentifs à cet aspect fondamental du pouvoir qu'est la maîtrise des croyances. Un livre scripturaire unique codifié selon des dogmes étatiques était sûrement la meilleure garantie de sécurité doctrinale – et donc politique. C'est en outre à cette époque que les ahâdîth, la deuxième source scripturaire de l'islâm, ont commencé à être collectés sous l'impulsion des califes.

Les intellectuels musulmans eux-mêmes n'ont jamais nié que la réception, la mise par écrit et la transmission du texte coranique ont eu une histoire. Ils ont largement débattu pendant de nombreux siècles, et dès le début de l'islâm, du statut, du contenu et de l'histoire du Coran. Et il ne faut en aucune façon occulter tous les débats d'idées qui ont eu lieu et la réalité complexe ; bien au contraire, nous devons en être conscients, raisonner et ne pas suivre docilement tout ce que l'on nous a appris. La foi n'est en effet pas reproduire mécaniquement mais sans cesse questionner et tenter de mieux comprendre et de mieux croire, dans la limite de ce que Dieu a voulu pour nous.

Pour conclure mes propos sur l'authenticité du Coran, je ne dirai qu'une seule chose : croyons en Dieu et à la protection contre le changement et l'altération de Sa parole, protection pérenne qu'Il nous a Lui-même assurée dans la sourate xv Al-Hijr :

 

9. c'est Nous, en revanche, qui faisons descendre le Coran, aussi bien que Nous en assurons la garde. ﴾۹﴿ إِنَّا نَحْنُ نَزَّلْنَا الذِّكْرَ وَإِنَّا لَهُ لَحَافِظُونَ

 

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