La liberté

De passionnants débats sur des questions philosophiques mettent notre esprit en jubilation.
 

Le quinzième chapitre du troisième livre du De Ira de Sénèque nous livre une conception de la liberté. Le début n'est pas sans faire rappeler que Tantale, selon certains, aurait servi aux dieux, en guise de mets, son propre fils, Pélops, pour éprouver la clairvoyance de ceux-ci.

Sans doute Harpage avait-il donné un bon conseil de cette nature à son maître, aussi roi de Perse, qui, offensé, lui fit servir à table la chair de ses propres enfants, puis lui demanda-t-il à plusieurs reprises, si le ragoût lui plaisait. Et quand il vit le malheureux bien repu de l'horrible mets, il fit apporter les têtes, ajoutant cette question :
« Comment juges-tu que l'on t'a traité ? »
Le père, hélas ! trouva des paroles ; sa langue ne resta pas glacée :
« À la table du roi, dit-il, tout mets est agréable. »

À cette bassesse que gagna-t-il ? Qu'on ne l'invitât pas à manger les restes. Sans défendre à un père d'exécrer l'acte de son roi, de chercher une vengeance digne d'une si atroce monstruosité, je conclurai de là qu'il est possible encore de cacher le ressentiment qui naît des plus poignantes douleurs et de lui imposer un langage contraire à sa nature. C'est une chose nécessaire de dompter son irritation, surtout aux hommes dont le sort est de vivre à la cour des rois et être admis à leur table. On y mange, on y boit, on y répond ainsi ; il y faut sourire à ses funérailles. L'existence vaut-elle qu'on la paye si cher ? Nous le verrons tout à l'heure : c'est là une autre question. Nous n'essaierons pas de consolation dans cette affreuse prison d'esclaves, nous ne les exhorterons point à subir la loi de leurs bourreaux – nous leur montrerons dans toute servitude une voie ouverte à la liberté. Si leur âme est malade, si ses passions font ses misères, elle peut, en finissant elle-même, les finir. Je dirai à qui se trouve jeté sous la main d'un tyran, lequel prend pour but de ses flèches le cœur de ses amis ou rassasie un père des entrailles de ses fils.

« Pourquoi gémir, insensé ? Pourquoi attendre que sur ta patrie expirante quelque ennemi vienne te venger ou qu'un puissant roi accoure de contrées lointaines ? Quelque part que les yeux se tournent, là est la fin de tes maux. Vois cette roche escarpée : de là on s'élance à la liberté. Vois cette mer, ce fleuve, ce puits : la liberté est assise au fond de leurs eaux. Vois cet arbre écourté, rabougri, mal venu : la liberté pend à ses branches. Vois ton cou, ta gorge, ton cœur : autant d'issues pour fuir l'esclavage. Mais ces issues que je te montre sont trop pénibles, exigent trop de vigueur d'âme ? Où est, dis-tu, la grande voie vers la liberté ? Dans chaque veine de ton corps. » (Traduction de Baillard)

 

« Quid gemis, demens ? Quid expectas ut te aut hostis aliquis per exitium gentis tuae uindicet aut rex a longinquo potens aduolet ? Quocumque respexeris, ibi malorum finis est. Vides illum praecipitem locum ? Illac ad libertatem descenditur. Vides illud mare, illud flumen, illum puteum ? Libertas illic in imo sedet. Vides illam arborem breuem retorridam infelicem ? Pendet inde libertas. Vides iugulum tuum, guttur tuum, cor tuum ? Effugia seruitutis sunt. Nimis tibi operosos exitus monstro et multum animi ac roboris exigentes ? Quaeris quod sit ad libertatem iter ? Quaelibet in corpore tuo uena. »

Ugo Bratelli

 

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