Tu quoque mi fili : une rumeur ♥

La connaissance d'éléments de civilisation antique permet de mieux comprendre la culture antique et par là même, la nôtre.
 

Il semblerait, d'après la tradition, que les dernières paroles de César fussent « Tu quoque, [mi] fili », ce qui signifie « Toi aussi, mon fils » puisqu'il considérait Brutus, son assassin, comme un fils adoptif. D'aucuns prétendent que le cri que César prononça d'une voix défaillante fut en fait en grec : « Kai su teknon ! », lorsque, le jour des Ides de mars 44, Tillius Cimber saisit sa toge, donnant ainsi le signal pour que lui fussent portés vingt-trois coups de poinçons.

Mais non ! Il s'agit d'une rumeur de Suétone. Le seul cri de César était en latin, et non en grec, et s'adressait à Casca : « Maudit Casca, que fais-tu ? »
Et ce Casca, après avoir frappé César, s'écria en grec « Au secours, mon frère ! »

Rappelons que Brutus n'est pas le fils de César, mais un orphelin élevé par Caton d'Utique. Brutus est le fils de Servilia, sœur de Caton d'Utique, qui fut aimée par César et à qui il acheta une perle d'une valeur de six millions de sesterces. Il voulait en fait surtout éviter de peiner Servilia, mère de Marcus Brutus en ayant le sang d'icelui sur la conscience. C'est pourquoi, alors que Marcus Brutus était dans les rangs de Pompée et qu'icelui fut battu par César, ce dernier ordonna qu'on ne le tuât pas, se croyant peut-être le père de Brutus – quoiqu'il aimât bien Marcus Brutus, il n'était sûrement pas naïf sur sa paternité : il aimait davantage l'autre Brutus, Decimus Brutus, qu'il fit héritier en second juste après Octave/Auguste. Pour l'anecdote, ceci est précisé dans le testament fait par César de son vivant ; en revanche, lors de la distribution des biens de César entre les vautours après son assassinat, une fois les biens distribués pour Auguste, il ne restait plus qu'un quart de l'héritage, lequel quart est principalement revenu à Lucius Pinarius et à Quintus Pedius. Decimus Brutus, « maréchal » de César, participa aussi aux Ides de Mars et fut massacré sur une perfidie de Marc Antoine dès 43 av J.-C. Il n'eut pas le loisir d'hériter de son illustre victime et il va de soi qu'Auguste prit la partie de l'héritage qui incombait à Decimus Brutus.

Servilia est une sœur utérine de Caton. Ils ont même mère Livia, mais un père différent, Caton, fils de Caton/Livia et de Servilia, fille de Servilius Cépion/Livia. La vraie sœur de Caton, Porcia, également fille du couple Caton/Livia, épousa Domitius Ahénobarbus... mariage aux conséquences amusantes car il fait du saint stoïcien Caton d'Utique un oncle ancêtre de l'empereur Néron. À y regarder de près, Néron avait dans ses veines du sang de Caton l'Ancien et aucune goutte du sang de Jules César !
Marcus Brutus épousa en seconde noce sa cousine Porcia, fille de Caton d'Utique et d'Atilia.

De là, si un Brutus pouvait se considérer comme fils/héritier (teknon) de César, c'était Decimus Brutus et non Marcus Brutus que César craignait par sa maigreur et sa pâleur plus que les « gras » Dolabella et Marc Antoine, comme cela est rapporté dans cette chronique sur César.

Au passage, la phrase historique alea iacta est prononcée par César lorsqu'il franchit le Rubicon le fut en grec : anerriphtho kubos (que soit jeté le dé).

Plutarque, dans la Vie de Marcus Brutus rapporte :

[XVII] Quand le sénat fut entré dans la salle, les conjurés environnèrent le siège de César, feignant d'avoir à lui parler de quelque affaire ; et Cassius portant, dit-on, ses regards sur la statue de Pompée, l'invoqua, comme si elle eût été capable de l'entendre. Trébonius tira Antoine vers la porte : et en lui parlant, il le retint hors de la salle. Quand César entra, tous les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur ; et dès qu'il fut assis, les conjurés, se pressant autour de lui, firent avancer Tullius Cimber, pour lui demander le rappel de son frère. Ils joignirent leurs prières aux siennes ; et, prenant les mains de César, ils lui baisaient la poitrine et la tête. Il rejeta d'abord des prières si pressantes ; et comme ils insistaient, il se leva pour les repousser de force. Alors Tullius, lui prenant la robe des deux mains, lui découvre les épaules ; et Casca, qui était derrière le dictateur, tire son poignard, et lui porte le premier, le long de l'épaule, un coup dont la blessure ne fut pas profonde. César, saisissant la poignée de l'arme dont il venait d'être frappé, s'écrie dans sa langue : « Scélérat de Casca, que fais-tu ? » Casca appelle son frère à son secours en langue grecque. César, atteint de plusieurs coups à la fois, porte ses regards autour de lui pour repousser les meurtriers ; mais dès qu'il voit Brutus lever le poignard sur lui, il quitte la main de Casca qu'il tenait encore, et se couvrant la tête de sa robe, il livre son corps au fer des conjurés. Comme ils le frappaient tous à la fois sans aucune précaution, et qu'ils étaient serrés autour de lui, ils se blessèrent les uns les autres. Brutus, qui voulut avoir part au meurtre, reçut une blessure à la main, et tous les autres furent couverts de sang.

Similairement, dans la Vie de César :

[LXXI] Lorsque César entra, tous les sénateurs se levèrent pour lui faire honneur. Des complices de Brutus, les uns se placèrent autour du siège de César ; les autres allèrent au-devant de lui, pour joindre leurs prières à celles de Métellus Cimber, qui demandait le rappel de son frère ; et ils le suivirent, en redoublant leurs instances, jusqu'à ce qu'il fût arrivé à sa place. Il s'assit, en rejetant leurs prières ; et comme ils le pressaient toujours plus vivement, il leur témoigna à chacun en particulier son mécontentement. Alors Métellus lui prit la robe de ses deux mains, et lui découvrit le haut de l'épaule ; c'était le signal dont les conjurés étaient convenus. Casca le frappa le premier de son épée ; mais le coup ne fut pas mortel, le fer n'ayant pas pénétré bien avant. Il y a apparence que, chargé de commencer une si grande entreprise, il se sentit troublé. César, se tournant vers lui, saisit son épée, qu'il tint toujours dans sa main. Ils s'écrièrent tous deux en même temps, César en latin : « Scélérat de Casca, que fais-tu ? » Et Casca, s'adressant à son frère, lui cria, en grec : « Mon frère, au secours ! »

Pourquoi Plutarque, auteur grec, parlant du romain César se sent-il obligé de préciser que César s'adressa en latin à Casca, qui le frappa en premier, et qui était tout aussi romain que lui ? De deux choses ou l'une : ou il souhaite noter la différence entre César, qui s'adressa en latin à Casca, et Casca, qui demande de l'aide en grec à son frère ; ou il souhaite infirmer la rumeur lancée par Suétone selon laquelle César se serait exprimé en grec avant que de mourir.

Caligula, Iulius, Pierre Salat et Siva Nataraja.

 

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