Température de l'Orcus

La connaissance d'éléments de civilisation antique permet de mieux comprendre la culture antique et par là même, la nôtre.
 

Vers la fin de la Quatrième Bucolique, Virgile écrit :

Illa quidem Stygia nabat iam frigida cymba.

Soit « Eurydice, déjà froide, voguait dans la barque stygienne. »

C'est donc que, malgré l'expression « aux enfers, on brûle et se consume de soif », l'Orcus, immense grotte à l'intérieur de la Terre, serait un lieu frais où les âmes des personnes « glacées par la mort » se rendent.

Les Romains étaient fort logiques : ils avaient constaté que, de son vivant, le corps était chaud et, une fois mort, froid. D'où l'idée que le feu était un principe de vie. Il était donc aussi logique que l'Orcus fût un lieu glacé, puisque sans vie, donc sans son principe vital.
Par ailleurs, tous les peuples ou cultures de pays tempérés ont bien compris que la vie se retire de la végétation quand il fait froid, c'est-à-dire en hiver, et revient avec la chaleur, ainsi le mythe de Déméter qui accepte de passer six mois par an avec Hadès.

D'autre part, certains prétendent que les peuples qui doivent communément lutter contre le froid, comme les Sibériens, ont tendance à imaginer un enfer froid, au contraire des peuples pour lesquels la chaleur est un supplice quotidien. Or, les peuples indo-européens semblent provenir de régions assez septentrionales d'Europe centrale.

Les enfers étaient un triste endroit froid, humide et sombre. Mais suivons notre guide Caligula :
Tout d'abord, dans l'antichambre des enfers, sur la rive extérieure du Styx, errent les âmes des personnes qui n'ont pas reçu les honneurs de la sépulture, puis de l'autre côté du fleuve, on trouve la foule des âmes des morts-nés, des enfants, non loin de là au bord d'un lac se serrent les âmes des morts tragiques en quatre groupes, puis l'on parvient dans la plaine de l'Achéron où se trouvent les âmes des demi-dieux, héroïnes, hommes et femmes ensevelis et morts de mort naturelle, âmes nombreuses et réparties par nations.

Le cicérone Iulius de poursuivre la visite :
Le passeur du Styx, Charon, abandonne à jamais les âmes qui ont perdu leur obole, qui l'ont oubliée ou qui sont trop pauvres. Une fois le fleuve traversé, elles rencontrent le monstrueux chien à trois têtes, Cerbère, dont le devoir est d'empêcher ceux qui tentent de retraverser le Styx de retourner dans le monde des vivants. Les âmes traversent ensuite la bruissante plaine embrumée des Asphodèles où le commun des mortels erre sans but pour l'éternité. Au-delà, se trouvent les prairies d'Érèbe et les marais du Léthé dont l'eau fait oublier la vie passée de ceux qui la boivent, si bien qu'il ne leur reste plus aucun souvenir pour se consoler. Les tours du somptueux palais de Pluton où les âmes des nouveaux défunts sont conduites afin d'être jugées peuvent ensuite être aperçues au loin. Les héros ont alors droit aux radieux Champs Élysées et peuvent, s'ils le désirent, retourner sur terre. Les viles personnes sont condamnées à la damnation éternelle du Tartare.

Concluons sur un petit texte amusant à propos de le l'Orcus, que nous traduit Henri Tournier :

Antiqui tradiderunt avarum quemdam virum, cui grande auri pondus esset, animam edidisse atque sane tristem ad vastam Stygis ripam pervenisse ; tunc Charontem ab avaro obolum poposcise, antequam eum ad alteram amnis ripam transferret; avarum vreo, ne obolum daret, in Charontis navem non conscendisse, sed in atram aquam se jecisse ; quam rem non successisse, qoud, flumine transmisso, esset comprehensus atque ad minoem, inferorum judicem, delatus esset ; quem timere ne quod avarus fecisset in consuetudinem veniret, neve propter hanc causam debita vectigalia Plutoni non jam penderentur ; Minorem igitur statuisse gravissima poena avarum afficere, quoniam iste primus pessimum exemplum edidisset ; quamobrem eum curavisse avarum quam celerrime ad vivos remittendum, ut ipse videret quomodo heredes divitas sibi relictas profunderent.

Les Anciens racontent qu'un avare, propriétaire d'une grande quantité d'or, rendit l'âme, et plein de tristesse, arriva sur les vastes bords du Styx ; alors Charon demanda à l'avare son obole avant de le transporter sur l'autre rive du fleuve ; mais l'avare, pour ne pas donner l'obole, ne monta pas dans la barque de Charon et se jeta dans les eaux noires. Il échoua dans son entreprise, car après avoir traversé la fleuve, il fut appréhendé et déféré à Minos, le juge des Enfers. Ce dernier, craignant que le comportement de l'avare devînt une habitude et qu'en conséquence le tribut dû à Pluton ne fût plus acquitté, décida d'infliger à l'avare le pire des châtiments, puisqu'il avait été le premier à donner le pire des exemples. C'est pourquoi il fit immédiatement renvoyer l'avare chez les vivants, pour qu'il vît comment ses héritiers dilapidaient les biens qu'il leur avait légués.

Anaxagore, Caligula, Guillaume Flamerie, Henri Tournier, Iulius et Jean Colinas.

 

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