Socrate à ses amis

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Henri Tournier nous traduit une fable de Phèdre.

Socrate à ses amis

Socrates ad amicos

Vulgare amici nomen sed rara est fides.
Cum paruas aedes sibi fundasset Socrates
– Cuius non fugio mortem si famam adsequar,
Et cedo inuidiae dummodo absoluar cinis –,
Ex populo sic nescioquis, ut fieri solet :
« Quaeso, tam angustam talis uir ponis domum ? »
« Vtinam » inquit « ueris hanc amicis impleam ! »

Phèdre, III, 9

Socrate à ses amis

On dit souvent « ami », mais rare est l'amitié.
Socrate se faisait bâtir une chaumière
– Je veux bien de sa mort si j'en tire ma gloire ;
Accusez-moi, jaloux, si la mort m'innocente. –
Un illustre inconnu – c'est commun – objecta :
« Pour l'homme que tu es, un si petit logis ! »
– « Puissé-je le remplir, dit-il, de vrais amis ! »

 

Traduction de Henri Tournier

 

Le Maître de Sacy a traduit « Paroles de Socrate » de Phèdre. Ce dernier terminait sa fable d'une manière semblable à celle de La Fontaine : « Où trouvera-t-on un ami fidèle ? ». Le thème était à la mode puisque La Rochefoucauld, dans ses Maximes, et plus spécialement dans la maxime LXXXIII, venait d'en dénoncer les succédanés :

« Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, un ménagement réciproque d'intérêts, et qu'un échange de bons offices ; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner ».

Le même auteur écrira de même :

« Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié ».

Nous pourrions aussi citer La Bruyère, Madame de Sévigné et bien d'autres.

Prenons aussi en considération ce que Sénèque nous rapporte dans sa sixième épître des Lettres à Lucilius, « De uera amicitia », sur une pensée de Hécaton :

[VII] « Quaeris », inquit, « quid profecerim ? Amicus esse mihi coepi. » Multum profecit : numquam erit solus. Scito esse hunc amicum omnibus.

[7] « Tu me demandes », dit-il, « quel progrès j'ai accompli ? J'ai commencé à devenir l'ami de moi-même. » Progrès considérable : jamais il ne sera seul. Sache qu'il existe, cet ami, pour tous les hommes.

Et dans sa neuvième lettre « De sapientis amicitia », la pensée de La Rochefoucauld se retrouve aussi présente :

[IX] Hae sunt amicitiae quas temporarias populus appellat ; qui utilitatis causa assumptus est tamdiu placebit quamdiu utilis fuerit. Hac re florentes amicorum turba circumsedet, circa euersos solitudo est, et inde amici fugiunt ubi probantur ; hac re ista tot nefaria exempla sunt aliorum metu relinquentium, aliorum metu prodentium. Necesse est initia inter se et exitus congruant : qui amicus esse coepit quia expedit, desinet etiam quia expedit ; placebit aliquod pretium contra amicitiam, si ullum in illa placet praeter ipsam.

[9] Ce sont des amitiés que l'on appelle d'ordinaire « de circonstance » : celui qui a été choisi en vue d'une utilité plaira aussi longtemps qu'il aura été utile. C'est pourquoi une foule d'amis assiège les hommes florissants, tandis qu'autour de ceux qui sont ruinés, c'est le désert ; dès lors, les amis s'enfuient quand ils sont mis à l'épreuve. C'est pour cela qu'existent autant d'exemples sacrilèges, les uns abandonnant par peur, les autres trahissant par peur. Il est nécessaire que le début et la fin concordent entre eux : celui qui a commencé à devenir ami par intérêt cessera aussi de l'être par intérêt ; quelque avantage lui plaira au détriment de l'amitié, si quelque avantage lui plaît dans l'amitié en dehors d'elle-même.

[X] In quid amicum paro ? Vt habeam pro quo mori possim, ut habeam quem in exilium sequar, cuius me morti et opponam et impendam : ista quam tu describis negotiatio est, non amicitia, quae ad commodum accedit, quae quid consecutura sit spectat.

[10] À quelle fin m'engagé-je dans une amitié ? Afin d'avoir un être pour qui je puisse mourir, afin d'avoir un être que je suivrai jusqu'en exil et à la mort de qui je m'emploierai à faire obstacle ; quant à cette relation que tu me décris, c'est du commerce, et non de l'amitié, qui vise au profit, qui regarde à ce qu'elle gagnera.

Remarquons au passage l'hendiadyin dans l'expression cuius me morti et opponam et impendam.

Et, à travers ce dernier paragraphe, on voit l'idée préchrétienne de Sénèque, en ce sens qu'il réside la même idée dans la Vulgata (Euangelium Iohannis, XV, 13) :

Maiorem hac dilectionem nemo habet ut animam suam quis ponat pro amicis suis.

Il n'est pas d'amour plus grand que celui-ci : quitter la vie pour ceux qu'on aime.

Et pour conclure ce commentaire comme il commença, La Fontaine dit bien dans « Les deux Amis » (VIII, 11) :

« [...] tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime. »

DB, Fragrance de Jade, Henri Tournier et Iulius.

 

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