Deus ex machina

La connaissance d'éléments de civilisation antique permet de mieux comprendre la culture antique et par là même, la nôtre.
 

L'expression deus ex machina signifie littéralement « un dieu [apparu] au moyen d'une machine ». C'est la plupart du temps un personnage qui vient dénouer l'action paraissant sans issue, à l'apogée de la crise, à la fin des pièces de théâtre, ce qui permet de modifier le cours de l'action. Nous utilisons cette expression comme un « happy end » dans lequel les dei ex machina jouent un grand rôle dans le spectacle et dans le dénouement d'une intrigue digne de la mythologie grecque.

En effet, dans le théâtre classique, ce personnage apparaissait sur la scène à partir du ciel, d'où son apparence « divine », puisqu'il descendait grâce à une « machine », tenu au bout d'une corde. L'origine de ce fait provient de la chanson de geste de Roland, dans laquelle un ange est le deus ex machina. Ogier étant sur le point d'égorger Charlot, Dieu envoie un ange pour que ce meurtre ne soit pas commis. Ce deus ex machina apparaît sur la scène au moyen d'une machinerie complexe. Ce personnage est donc bel et bien un Dieu descendu au moyen d'une machine « céleste », c'est-à-dire depuis le ciel.

Dans le théâtre, ce personnage descendu sur scène grâce à une machine désigne allégoriquement une représentation divine. La machinerie utilisée est soit quelconque, soit spectaculaire de par l'entremise d'une ingéniosité technique en ce qui concerne la mise en scène. Il faut en effet savoir que le théâtre antique utilise une machinerie certes assez rudimentaire, mais impressionnante, ce qui contribue à mettre en abyme le déroulement irréaliste de l'action. Parmi les dispositifs mécaniques qui permettaient l'avancée du drame, l'encyclème est le plus connu et sert à amener sur scène des personnages pourtant à l'intérieur d'une maison. Quant au brontêion, c'est un baril rempli de pierres qui produisent l'impression du grondement du tonnerre, en roulant sur des feuilles de métal. De même, une machine dont le mouvement est produit par une poulie autour de laquelle s'enroule une corde permet à un personnage soit de monter au ciel, comme la magicienne Médée, soit de descendre du ciel pour intervenir dans l'action : c'est le deus ex machina. La même machinerie est utilisée par Aristophane pour montrer Socrate descendant du ciel dans les Nuées.

Dans le théâtre antique, c'est surtout chez Euripide qu'intervient in fine ce deus ex machina. Par exemple, Artémis intervient dans Iphigénie à Aulis afin d'éviter au personnage héroïque éponyme d'être sacrifiée. D'ailleurs, Aristophane se moquera allégrement de cet artifice dramatique !
Dans le film aux deux César Farinelli, il castrato de Gérard Corbiau, qui retrace l'histoire de Carlo Broschi, ce procédé est aussi utilisé.

Par extension, dans les pièces de théâtre, ce terme qualifie toute péripétie qui survient de façon invraisemblable, à l'image de l'arrivée inopinée d'un sauveur comme dans Les Femmes savantes de Molière où Ariste, dans la dernière scène, apporte deux fausses lettres au moment même où Trissotin s'apprête à épouser Henriette. Ce stratagème permet de dévoiler la véritable nature de ce « triple sot » qui sait le grec.
Ce deus ex machina peut aussi être la reconnaissance soudaine d'un personnage, ou une scène d'« agôn », c'est-à-dire une joute verbale organisée comme lors d'un débat judiciaire.

Le deus ex machina permet de rétablir l'ordre entre les personnages de la pièce. Il est en quelque sorte le « clou du spectacle », comme le bouquet final d'un pyrotechnique feu d'artifice même si, dans le théâtre classique, l'intervention impromptue d'un deus ex machina est souvent le prétexte à flatter le monarque, représentant de Dieu sur Terre, devant qui la pièce est jouée.

Néanmoins, relativement à la construction dramatique de la pièce de théâtre, le deus ex machina est souvent une ruse « grossière » qui permet le dénouement de la pièce. Nombreuses sont en effet les situations dramatiques parfaitement insolubles dont l'imbroglio est subitement résolu par l'utilisation d'un deus ex machina, notamment lorsque la logique de la situation n'est pas maîtrisée. C'est pourquoi ces dei ex machina sont plus spectaculaires et dotés d'une force apparente et intimidante qu'autre chose.

Il n'en faut toutefois pas moins noter que ce moyen impressionnant, comme le mot machina, est grec. Les Romains utilisent cette expression deus ex machina plutôt de façon comique, un peu comme nous. Le théâtre romain ne fait plus appel à ce genre de « grosses ficelles ». Certes les blagues comme les atellanes ou autres mimes et pantomimes doivent utiliser plus que le théâtre des effets spéciaux mais l'expression deus ex machina existe bien avant les savantes poulies du mime de l'époque impériale. Et ce sont moins des dieux que des esclaves, qui remplacent au dernier moment l'acteur, que l'on pend, suspend, crucifie, torture ou offre aux ours, comme dans la pièce le Laureolus pour la plus grande joie des spectateurs.
L'expression deus ex machina est déjà allégorique et comique chez les Romains et traduit comme chez nous l'issue d'une pièce sauvée par une fin « capillotractée ».

Ce terme de deus ex machina est aussi employé en psychologie, en économie et en rhétorique. Dans ce dernier cas, le deus ex machina est un argument très puissant en apparence mais sorti de derrière les fagots ! Et pas seulement au théâtre : dans la naumachie de Claude sur le lac Fucin, par exemple – c'est le fameux morituri te salutant –, nous avons : tritone argenteo, qui e medio lacu per machinam emerserat.

Ainsi, cette expression est employée improprement, par un abus de langage, dans un glissement sémantique. De nos jours, le deus ex machina est donc une catachrèse.

Caligula, C. Pompeius Trimalchio, Grégory, Henri Tournier et Iulius répondant à une question de Ex nihilo.

 

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